Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
DES POSSESSIONS ANGLAISES ET HOLLANDAISES.

Pensylvaniens, dès que ces nouveaux venus commencèrent à s’établir. Mais en 1692, ces puritains se punirent eux-mêmes par la plus étrange maladie épidémique de l’esprit qui ait jamais attaqué l’espèce humaine.

Tandis que l’Europe commençait à sortir de l’abîme de superstitions horribles où l’ignorance l’avait plongée depuis tant de siècles, et que les sortiléges et les possessions n’étaient plus regardés en Angleterre et chez les nations policées que comme d’anciennes folies dont on rougissait, les puritains les firent revivre en Amérique. Une fille eut des convulsions en 1692 ; un prédicant accusa une vieille servante de l’avoir ensorcelée ; on força la vieille d’avouer qu’elle était magicienne : la moitié des habitants crut être possédée, l’autre moitié fut accusée de sortilége, et le peuple en fureur menaçait tous les juges de les pendre, s’ils ne faisaient pas pendre les accusés. On ne vit pendant deux ans que des sorciers, des possédés, et des gibets ; et c’étaient des compatriotes de Locke et de Newton qui se livraient à cette abominable démence. Enfin la maladie cessa ; les citoyens de la Nouvelle-Angleterre reprirent leur raison, et s’étonnèrent de leur fureur. Ils se livrèrent au commerce et à la culture des terres. La colonie devint bientôt la plus florissante de toutes. On y comptait, en 1750, environ trois cent cinquante mille habitants ; c’est dix fois plus qu’on n’en comptait dans les établissements français.

De la Nouvelle-Angleterre vous passez à la Nouvelle-York, à l’Acadie, qui est devenue un si grand sujet de discorde ; à Terre-Neuve, où se fait la grande pêche de la morue ; et enfin, après avoir navigué vers l’ouest, vous arrivez à la baie d’Hudson, par laquelle on a cru si longtemps trouver un passage à la Chine et à ces mers inconnues qui font partie de la vaste mer du Sud ; de sorte qu’on croyait trouver à la fois le chemin le plus court pour naviguer aux extrémités de l’Orient et de l’Occident.

Les îles que les Anglais possèdent en Amérique leur ont presque autant valu que leur continent : la Jamaïque, la Barbade, et quelques autres où ils cultivent le sucre, leur ont été très-profitables, tant par leurs fabriques que par leur commerce avec la Nouvelle-Espagne, d’autant plus avantageux qu’il est prohibé.

Les Hollandais, si puissants aux Indes Orientales, sont à peine connus en Amérique ; le petit terrain de Surinam, près du Brésil, est ce qu’ils ont conservé de plus considérable. Ils y ont porté le génie de leur pays, qui est de couper les terres en canaux. Ils ont fait une nouvelle Amsterdam à Surinam, comme à Batavia ; et l’île de Curaçao leur produit des avantages assez considérables.