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DES POSSESSIONS ANGLAISES ET HOLLANDAISES.

a valu des peuplades aux deux mondes, le nombre des habitants de la Virginie se monte à cent quarante mille, sans compter les nègres. On a surtout cultivé le tabac dans cette province et dans le Maryland ; c’est un commerce immense, et un nouveau besoin artificiel qui n’a commencé que fort tard, et qui s’est accru par l’exemple : il n’était pas permis de mettre de cette poussière âcre et malpropre dans son nez à la cour de Louis XIV ; cela passait pour une grossièreté. La première ferme du tabac fut en France de trois cent mille livres par an ; elle est aujourd’hui de seize millions[1]. Les Français en achètent pour près de quatre millions par année des colonies anglaises, eux qui pourraient en planter dans la Louisiane. Je ne puis m’empêcher de remarquer que la France et l’Angleterre consument aujourd’hui en denrées inconnues à nos pères plus que leurs couronnes n’avaient autrefois de revenus.

De la Virginie, en allant toujours au nord, vous entrez dans le Maryland, qui possède quarante mille blancs et plus de soixante mille nègres[2]. Au delà est la célèbre Pensylvanie, pays unique sur la terre par la singularité de ses nouveaux colons. Guillaume Penn, chef de la religion qu’on nomme très-improprement Quakerisme, donna son nom et ses lois à cette contrée vers l’an 1680. Ce n’est pas ici une usurpation comme toutes ces invasions que nous avons vues dans l’ancien monde et dans le nouveau. Penn acheta le terrain des indigènes, et devint le propriétaire le plus légitime. Le christianisme qu’il apporta ne ressemble pas plus à celui du reste de l’Europe que sa colonie ne ressemble aux autres. Ses compagnons professaient la simplicité et l’égalité des premiers disciples de Christ. Point d’autres dogmes que ceux qui sortirent de sa bouche ; ainsi presque tout se bornait à aimer Dieu et les hommes : point de baptême, parce que Jésus ne baptisa personne ; point de prêtres, parce que les premiers disciples étaient également conduits par le Christ lui-même. Je ne fais ici que le devoir d’un historien fidèle, et j’ajouterai que si Penn et ses compagnons errèrent dans la théologie, cette source intarissable de querelles et de malheurs, ils s’élevèrent au-dessus de tous

  1. Vers l’année 1750. Elle a beaucoup augmenté depuis. — En 1789 elle était de trente millions. (B.)
  2. Les calculs de la population de chacune des colonies anglaises sont tirés d’anciens états publiés en Angleterre ; et, d’après les observations de M. Franklin, cette population doublait tous les vingt ans. On trouvera dans l’ouvrage de M. l’abbé Raynal la population de ces mêmes colonies, pour les années qui ont précédé immédiatement la guerre. (K.)