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DE PIERRE LE CRUEL, ET DU PRINCE NOIR.

Artus. Enfin Édouard III survécut à son bonheur et à sa gloire, et mourut (1377) entre les bras d’Alix Perse[1], sa maîtresse, qui lui ferma les yeux en volant ses pierreries, et en lui arrachant la bague qu’il portait au doigt. On ne sait qui mourut le plus misérablement, ou du vainqueur ou du vaincu.

Cependant, après la mort de Jean de France, Charles V, son fils, justement surnommé le Sage, réparait les ruines de son pays par la patience et par les négociations ; nous verrons comment il chassa les Anglais de presque toute la France. Mais tandis qu’il se préparait à cette grande entreprise, le Prince Noir, vers l’an 1366, ajoutait une nouvelle gloire à celle de Crécy et de Poitiers. Jamais les Anglais ne firent des actions plus mémorables et plus inutiles.

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CHAPITRE LXXVII.


Du Prince Noir, du roi de Castille don Pèdre le Cruel,
et du connétable du Guesclin.


La Castille était presque aussi désolée que la France. Pierre ou don Pèdre, qu’on nomme le Cruel, y régnait. On nous le représente comme un tigre altéré de sang humain, et qui sentait de la joie à le répandre : un tel caractère est bien rarement dans la nature ; les hommes sanguinaires ne le sont que dans la fureur de la vengeance, ou dans les sévérités de cette politique atroce, qui fait croire la cruauté nécessaire ; mais personne ne répand le sang pour son plaisir.

Il monta sur le trône de Castille étant encore mineur, et dans des circonstances fâcheuses. Son père Alfonse XI avait eu sept bâtards de sa maîtresse Éléonore de Gusman. Ces sept bâtards, puissamment établis, bravaient l’autorité de don Pèdre ; et leur mère, encore plus puissante qu’eux, insultait à la mère du roi. La Castille était partagée entre le parti de la reine mère et celui d’Éléonore. À peine le roi eut-il atteint l’âge de vingt-un ans qu’il lui fallut soutenir contre la faction des bâtards une guerre civile. Il combattit, fut vainqueur, et accorda la mort d’Éléonore à

  1. Ou plutôt Alice Perrers. (G. A.)