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CHAPITRE CXLV.

Ce Bermudes prétend que sur les frontières du pays de Damut, entre l’Abyssinie et les pays voisins de la source du Nil, il y a une petite contrée où les deux tiers de la terre sont d’or. C’est là ce que les Portugais cherchaient, et ce qu’ils n’ont point trouvé ; c’est là le principe de tous ces voyages ; les patriarches, les missions, les conversions, n’ont été que le prétexte. Les Européans n’ont fait prêcher leur religion depuis le Chili jusqu’au Japon que pour faire servir les hommes, comme des bêtes de somme, à leur insatiable avarice. Il est à croire que le sein de l’Afrique renferme beaucoup de ce métal qui a mis en mouvement l’univers ; le sable d’or qui roule dans ses rivières indique la mine dans les montagnes. Mais jusqu’à présent cette mine a été inaccessible aux recherches de la cupidité ; et à force de faire des efforts en Amérique et en Asie, on s’est moins trouvé en état de faire des tentatives dans le milieu de l’Afrique.

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CHAPITRE CXLV.


De Colombo, et de l’Amérique.


C’est à ces découvertes des Portugais dans l’ancien monde que nous devons le nouveau, si pourtant c’est une obligation que cette conquête de l’Amérique, si funeste pour ses habitants, et quelquefois pour les conquérants mêmes.

C’est ici le plus grand événement sans doute de notre globe, dont une moitié avait toujours été ignorée de l’autre. Tout ce qui a paru grand jusqu’ici semble disparaître devant cette espèce de création nouvelle. Nous prononçons encore avec une admiration respectueuse les noms des Argonautes, qui firent cent fois moins que les matelots de Gama et d’Albuquerque. Que d’autels on eût érigés dans l’antiquité à un Grec qui eût découvert l’Amérique ! Christophe Colombo et Barthélémy son frère ne furent pas traités ainsi.

Colombo, frappé des entreprises des Portugais, conçut qu’on pouvait faire quelque chose de plus grand, et, par la seule inspection d’une carte de notre univers, jugea qu’il devait y en avoir un autre, et qu’on le trouverait en voguant toujours vers l’occi-