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DU JAPON.

pèlerin, tantôt dans l’appareil pompeux d’un vicaire apostolique député par le pape. Il est vrai qu’obligé de se servir d’un truchement, il ne fit pas d’abord de grands progrès. « Je n’entends point ce peuple, dit-il dans ses lettres, et il ne m’entend point ; nous épelons comme des enfants. » Il ne fallait pas qu’après cet aveu les historiens de sa vie lui attribuassent le don des langues : ils devaient aussi ne pas mépriser leurs lecteurs jusqu’au point d’assurer que Xavier ayant perdu son crucifix, il lui fut rapporté par un cancre ; qu’il se trouva en deux endroits au même instant, et qu’il ressuscita neuf morts[1]. On devait s’en tenir à louer son zèle et ses tentatives. Il apprit enfin assez de japonais pour se faire un peu entendre. Les princes de plusieurs îles de cet empire, mécontents pour la plupart de leurs bonzes, ne furent pas fâchés que des prédicateurs étrangers vinssent contredire ceux qui abusaient de leur ministère. Peu à peu la religion chrétienne s’établit.

La célèbre ambassade de trois princes chrétiens japonais au pape Grégoire XIII est peut-être l’hommage le plus flatteur que le saint-siége ait jamais reçu. Tout ce grand pays où il faut aujourd’hui abjurer l’Évangile, et où les seuls Hollandais sont reçus à condition de n’y faire aucun acte de religion, a été sur le point d’être un royaume chrétien, et peut-être un royaume portugais. Nos prêtres y étaient honorés plus que parmi nous ; aujourd’hui leur tête y est à prix, et ce prix même est considérable : il est environ de douze mille livres. L’indiscrétion d’un prêtre portugais, qui ne voulut pas céder le pas à un des premiers officiers du roi, fut la première cause de cette révolution ; la seconde fut l’obstination de quelques jésuites qui soutinrent trop un droit odieux, en ne voulant pas rendre une maison qu’un seigneur japonais leur avait donnée, et que le fils de ce seigneur redemandait ; la troisième fut la crainte d’être subjugué par les chrétiens ; et c’est ce qui causa une guerre civile. Nous verrons comment le christianisme, qui commença par des missions, finit par des batailles.

Tenons-nous-en à présent à ce que le Japon était alors, à cette antiquité dont ces peuples se vantent comme les Chinois, à cette suite de rois pontifes qui remonte à plus de six siècles avant notre ère : remarquons surtout que c’est le seul peuple de l’Asie qui n’ait jamais été vaincu. On compare les Japonais aux Anglais, par cette fierté insulaire qui leur est commune, par le suicide

  1. Voyez l’article François Xavier, dans le Dictionnaire philosophique. (Note de Voltaire.)