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CHAPITRE CXLI.

renfermé dans les cloîtres. Un moine d’Oxford, nommé Linna, habile astronome pour son temps, pénétra jusqu’à l’Islande, et dressa des cartes des mers septentrionales, dont on se servit depuis sous le règne de Henri VI.

Mais ce ne fut qu’au commencement du XVe siècle que se firent les jurandes et utiles découvertes. Le prince Henri de Portugal, fils du roi Jean Ier, qui les commença, rendit son nom plus glorieux que celui de tous ses contemporains. Il était philosophe, et il mit la philosophie à faire du bien au monde : Talent de bien faire était sa devise.

A cinq degrés en deçà de notre tropique est un promontoire qui s’avance dans la mer Atlantique, et qui avait été jusque-là le terme des navigations connues : on l’appelait le Cap Non[1]; ce monosyllabe marquait qu’on ne pouvait le passer.

Le prince Henri trouva des pilotes assez hardis pour doubler ce cap, et pour aller jusqu’à celui de Boyador, qui n’est qu’à deux degrés du tropique ; mais ce nouveau promontoire s’avançant l’espace de six-vingts milles dans l’Océan, bordé de tous côtés de rochers, de bancs de sable, et d’une mer orageuse, découragea les pilotes. Le prince, que rien ne décourageait, en envoya d’autres. Ceux-ci ne purent passer ; mais en s’en retournant par la grande mer (1419), ils retrouvèrent l’île de Madère, que sans doute les Carthaginois avaient connue, et que l’exagération avait fait prendre pour une île immense, laquelle, par une autre exagération, a passé dans l’esprit de quelques modernes pour l’Amérique même. On lui donna le nom de Madère, parce qu’elle était couverte de bois, et que Madera signifie bois, d’où nous est venu le mot de madrier. Le prince Henri y fit planter des vignes de Grèce, et des cannes de sucre, qu’il tira de Sicile et de Chypre, où les Arabes les avaient apportées des Indes, et ce sont ces cannes de sucre qu’on a transplantées depuis dans les îles de l’Amérique, qui en fournissent aujourd’hui l’Europe[2].

Le prince don Henri conserva Madère ; mais il fut obligé de

  1. Voltaire écrit comme on prononce, et comme il le fallait pour l’explication qui termine sa phrase, explication qui peut se contester comme tant d’autres ; mais on écrit Cap Nun. ( B.)
  2. On sait que toutes ces découvertes des Portugais sont fort contestées aujourd’hui. Les Dieppois avaient, paraît-il, des comptoirs dès la fin du XIVe siècle, depuis le cap Vert jusqu’à la Mine. Sur un portulan de 1375, qui existe à la Bibliothèque de Paris, Madère et les Canaries sont tracées, ce qui oblige à les retrancher du nombre des découvertes portugaises, puisque Joao Gonçalès ne fut poussé par la tempête à Porto-Santo qu’en 1418. (G. A.)