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DES ORDRES RELIGIEUX.

Grecs et chez les Romains ; tous les colléges de prêtres desservaient leurs temples auxquels ils étaient attachés. La vie monastique était inconnue à ces peuples. Les Juifs eurent leurs esséniens et leurs thérapeutes : les chrétiens les imitèrent.

Saint Basile, au commencement du IVe siècle, dans une province barbare vers la mer Noire, établit sa règle suivie de tous les moines de l’Orient : il imagina les trois vœux, auxquels les solitaires se soumirent tous. Saint Benedict, ou Benoît, donna la sienne au VIe siècle, et fut le patriarche des cénobites de l’Occident.

Ce fut longtemps une consolation pour le genre humain qu’il y eût de ces asiles ouverts à tous ceux qui voulaient fuir les oppressions du gouvernement goth et vandale. Presque tout ce qui n’était pas seigneur de château était esclave : on échappait, dans la douceur des cloîtres, à la tyrannie et à la guerre. Les lois féodales de l’Occident ne permettaient pas, à la vérité, qu’un esclave fût reçu moine sans le consentement du seigneur ; mais les couvents savaient éluder la loi. Le peu de connaissances qui restait chez les Barbares fut perpétué dans les cloîtres. Les bénédictins transcrivirent quelques livres. Peu à peu il sortit des cloîtres plusieurs inventions utiles. D’ailleurs ces religieux cultivaient la terre, chantaient les louanges de Dieu, vivaient sobrement, étaient hospitaliers ; et leurs exemples pouvaient servir à mitiger la férocité de ces temps de barbarie. On se plaignit que bientôt après les richesses corrompirent ce que la vertu et la nécessité avaient institué : il fallut des réformes. Chaque siècle produisit en tous pays des hommes animés par l’exemple de saint Benoît, qui tous voulurent être fondateurs de congrégations nouvelles.

L’esprit d’ambition est presque toujours joint à celui d’enthousiasme, et se mêle, sans qu’on s’en aperçoive, à la piété la plus austère. Entrer dans l’ordre ancien de saint Benoît ou de saint Basile, c’était se faire sujet ; créer un nouvel institut, c’était se faire un empire. De là cette multitude de clercs, de chanoines réguliers, de religieux, et de religieuses. Quiconque a voulu fonder un ordre a été bien reçu des papes, parce qu’ils ont été tous immédiatement soumis au saint-siége, et soustraits, autant qu’on l’a pu, à la domination de leurs évêques. La plupart de leurs généraux résident à Rome comme dans le centre de la chrétienté, et de cette capitale ils envoient au bout du monde les ordres que le pontife leur donne.

Mais ce qu’on n’a pas assez remarqué, c’est qu’il s’en est fallu peu que le pontificat romain n’ait été pour jamais entre les mains des moines. Ce dernier avilissement qui manquait à Rome