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CHAPITRE CXXXVIII.

Les Vaudois enfin s’attroupèrent. D’Oppède, irrité, aggrava leurs fautes auprès du roi, et obtint permission d’exécuter l’arrêt suspendu cinq années entières. Il fallait des troupes pour cette expédition : d’Oppède et l’avocat général Guérin en prirent. Il paraît évident que ces habitants trop opiniâtres, appelés par le déclamateur Maimbourg une canaille révoltée, n’étaient point du tout disposés à la révolte, puisqu’ils ne se défendirent pas ; ils s’enfuirent de tous côtés, en demandant miséricorde. Le soldat égorgea les femmes, les enfants, les vieillards, qui ne purent fuir assez tôt.

D’Oppède et Guérin courent de village en village. On tue tout ce qu’on rencontre : on brûle les maisons et les granges, les moissons et les arbres ; on poursuit les fugitifs à la lueur de l’embrasement. Il ne restait dans le bourg fermé de Cabrières que soixante hommes et trente femmes : ils se rendent, sous la promesse qu’on épargnera leur vie ; mais à peine rendus, on les massacre. Quelques femmes réfugiées dans une église voisine en sont tirées par l’ordre d’Oppède ; il les enferme dans une grange, à laquelle il fait mettre le feu. On compta vingt-deux bourgs mis en cendres ; et lorsque les flammes furent éteintes, la contrée, auparavant florissante et peuplée, fut un désert où l’on ne voyait que des corps morts. Le peu qui échappa se sauva vers le Piémont. François Ier en eut horreur : l’arrêt dont il avait permis l’exécution portait seulement la mort de dix-neuf hérétiques : d’Oppède et Guérin firent massacrer des milliers d’habitants. Le roi recommanda, en mourant, à son fils de faire justice de cette barbarie, qui n’avait point d’exemple chez des juges de paix.

En effet Henri II permit aux seigneurs ruinés de ces villages détruits et de ces peuples égorgés de porter leurs plaintes au parlement de Paris. L’affaire fut plaidée. D’Oppède eut le crédit de paraître innocent ; tout retomba sur l’avocat général Guérin ; il n’y eut que cette tête qui paya le sang de cette multitude malheureuse.

Ces exécutions n’empêchaient pas le progrès du calvinisme. On brûlait d’un côté, et on chantait de l’autre en riant les psaumes de Marot, selon le génie toujours léger et quelquefois très-cruel de la nation française. Toute la cour de Marguerite, reine de Navarre et sœur de François Ier était calviniste ; la moitié de celle du roi l’était. Ce qui avait commencé par le peuple avait passé aux grands, comme il arrive toujours. On faisait secrètement des prêches : on disputait partout hautement. Ces querelles, dont personne ne se soucie aujourd’hui, ni dans Paris, ni à la cour,