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CHAPITRE CXXXVIII.

Jagellons qui régna en Pologne s’était fait chrétien, et avait rendu toute la Lithuanie et la Samogitie chrétiennes, sans que ces anciens Gépides eussent murmuré. Si les Saxons avaient été baptisés dans des ruisseaux de sang par Charlemagne, c’est qu’il s’agissait de les asservir, et non de les éclairer. Si on voulait jeter les yeux sur l’Asie entière, on verrait les États musulmans remplis de chrétiens et d’idolâtres également paisibles, plusieurs religions établies dans l’Inde, à la Chine, et ailleurs, sans avoir jamais pris les armes. Si on remontait à tous les siècles anciens, on y verrait les mêmes exemples. Ce n’est pas une religion nouvelle qui par elle-même est dangereuse et sanglante, c’est l’ambition des grands, laquelle se sert de cette religion pour attaquer l’autorité établie. Ainsi les princes luthériens s’armèrent contre l’empereur qui voulait les détruire ; mais François Ier, Henri II, n’avaient chez eux ni princes ni seigneurs à craindre.

La cour, divisée depuis sous des minorités malheureuses, était alors réunie dans une obéissance parfaite à François Ier : aussi ce prince laissa-t-il plutôt persécuter les hérétiques qu’il ne les poursuivit. Les évêques, les parlements, allumèrent des bûchers : il ne les éteignit pas. Il les aurait éteints si son cœur n’avait pas été endurci sur les malheurs des autres autant qu’amolli par les plaisirs ; il aurait du moins mitigé la peine de Jean Le Clerc, qui fut tenaillé vif, et à qui on coupa les bras, les mamelles, et le nez, pour avoir parlé contre les images et contre les reliques. Il souffrit qu’on brûlât à petit feu vingt misérables, accusés d’avoir dit tout haut ce que lui-même pensait sans doute tout bas, si l’on en juge par toutes les actions de sa vie. Le nombre des suppliciés pour n’avoir pas cru au pape, et l’horreur de leurs supplices, font frémir : il n’en était point ému ; la religion ne l’embarrassait guère. Il se liguait avec les protestants d’Allemagne, et même avec les mahométans, contre Charles-Quint ; et quand les princes luthériens d’Allemagne ses alliés lui reprochèrent d’avoir fait mourir leurs frères qui n’excitaient aucun trouble en France, il rejetait tout sur les juges ordinaires.

Nous avons vu[1] les juges d’Angleterre, sous Henri VIII et sous Marie, exercer des cruautés qui font horreur ; les Français, qui passent pour un peuple plus doux, surpassèrent beaucoup ces barbaries faites au nom de la religion et de la justice.

Il faut savoir qu’au XIIe siècle, Pierre Valdo[2], riche marchand

  1. Chapitres cxxxv et cxxxvi.
  2. Voyez chapitre cxxviii.