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CHAPITRE CXXXVI.

-petit, et le sera toujours : le travail des mains ne s’accorde point avec le raisonnement, et le commun peuple en général n’use ni n’abuse guère de son esprit.

Un athéisme funeste, qui est le contraire du théisme, naquit encore dans presque toute l’Europe de ces divisions théologiques. On prétend qu’alors il y avait plus d’athées en Italie qu’ailleurs. Ce ne furent pas les querelles de doctrine qui conduisirent les philosophes italiens à cet excès, ce furent les désordres dans lesquels presque toutes les cours et celle de Rome étaient tombées. Si on lit avec attention plusieurs écrits italiens de ces temps-là, on verra que leurs auteurs, trop frappés du débordement des crimes dont ils parlaient, ne reconnaissaient point l’Être suprême dont la providence permet ces crimes, et pensaient comme Lucrèce pensait dans des temps non moins malheureux. Cette opinion pernicieuse s’établit chez les grands en Angleterre et en France ; elle eut peu de cours dans l’Allemagne et dans le Nord, et il n’est pas à craindre qu’elle fasse jamais de grands progrès. La vraie philosophie, la morale, l’intérêt de la société, l’ont presque anéantie ; mais alors elle s’établissait par les guerres de religion ; et des chefs de parti devenus athées conduisaient une multitude d’enthousiastes[1].

(1553) Édouard VI mourut dans ces temps funestes, n’ayant encore pu donner que des espérances. Il avait déclaré, en mourant,

  1. Si l’on entend par athée un homme qui, rejetant toute religion particulière, ne connaît pas la religion naturelle, il y en a eu un grand nombre dans tous les temps. Ils ont été communs parmi les hommes puissants de tous les pays, et surtout parmi les prêtres de toutes les religions. Le monde a été sans interruption la proie des scélérats imbéciles qui croyaient tout, dirigés par des scélérats hypocrites qui ne croyaient rien. Cette espèce d’athéisme osa se montrer presque ouvertement en Italie, vers le XVIe siècle : c’est alors qu’on imagina d’ériger l’hypocrisie et le mensonge en système de morale, et d’établir que la croyance des fables religieuses est un frein salutaire pour la méchanceté humaine ; et, à la honte de la raison, ce système a encore des partisans.

    Quant aux philosophes qui nient l’existence d’un Être suprême, ou n’admettent qu’un dieu indifférent aux actions des hommes et ne punissant le crime que par ses suites naturelles, la crainte et les remords, et aux sceptiques qui, laissant à l’écart ces questions insolubles et dès lors indifférentes, se sont bornés à enseigner une morale naturelle, ils ont été très-communs dans la Grèce, dans Rome ; et ils commencent à le devenir parmi nous. Mais ces philosophes ne sont pas dangereux. Le fanatisme est une bête féroce que la religion enchaîne ou excite à son gré ; la raison seule peut l’étouffer dès sa naissance.

    Observons cependant avec quel soin M. de Voltaire saisit toutes les occasions d’annoncer aux hommes un Dieu vengeur des crimes, et apprenons à connaître la bonne foi des faiseurs de libelles, qui l’ont accusé de détruire les fondements de la morale, et qui l’ont fait croire à force de le répéter. (K.)