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CHAPITRE CXXX.

reçue dans leur parti même. La loi naturelle parlait seule en faveur du landgrave ; la nature lui avait donné au nombre de trois ce qu’elle ne donne d’ordinaire aux autres qu’au nombre de deux ; mais il n’apporte point cette raison physique dans sa requête.

La décrétale de Grégoire II, qui permet deux femmes, n’était point en vigueur, et n’autorise personne. Les exemples que plusieurs rois chrétiens, et surtout les rois goths, avaient donnés autrefois de la polygamie, n’étaient regardés par tous les chrétiens que comme des abus. Si l’empereur Valentinien l’Ancien épousa Justine du vivant de Severa sa femme, si plusieurs rois francs eurent deux ou trois femmes à la fois, le temps en avait presque effacé le souvenir. Le synode de Vittemberg ne regardait pas le mariage comme un sacrement ; mais comme un contrat civil : il disait que la discipline de l’Église admet le divorce, quoique l’Évangile le défende ; il disait que l’Évangile n’ordonne pas expressément la monogamie ; mais enfin il voyait si clairement le scandale, qu’il le déroba autant qu’il put aux yeux du public. La permission de la polygamie fut signée ; la concubine fut épousée du consentement même de la légitime épouse : ce que, depuis Grégoire, jamais n’avaient osé les papes, dont Luther attaquait le pouvoir excessif, il le fit n’ayant aucun pouvoir. Sa dispense fut secrète ; mais le temps révèle tous les secrets de cette nature. Si cet exemple n’a guère eu d’imitateurs, c’est qu’il est rare qu’un homme puisse conserver chez soi deux femmes dont la rivalité ferait une guerre domestique continuelle, et rendrait trois personnes malheureuses.

Cowper[1], chancelier d’Angleterre du temps de Charles II, épousa secrètement une seconde femme, avec le consentement de la première ; il fit un petit livre en faveur de la polygamie, et vécut heureusement avec ses deux épouses ; mais ces cas sont très-rares.

La loi qui permet la pluralité des femmes aux Orientaux est, de toutes les lois, la moins en vigueur chez les particuliers : on a des concubines ; mais il n’y a pas à Constantinople quatre Turcs qui aient plusieurs épouses[2].

  1. Voyez la xxiie des Honnêtetés littéraires (Mélanges, année 1767).
  2. Voyez le Dictionnaire philosophique, article femme. (Note de Voltaire.) — Voltaire toutefois ne dit point qu’il n’y a pas à Constantinople quatre Turcs qui aient plusieurs épouses ; mais qu’il n’y a que les plus grands seigneurs qui puissent user du privilége d’avoir quatre femmes. (B.)