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DE ZUINGLE.

purgatoire jusqu’au jugement dernier, à moins qu’il ne fût racheté par des prières et des aumônes au couvent.

Le prieur dominicain du couvent entra la nuit dans la cellule d’Yetser, vêtu d’une robe où l’on avait peint des diables. Il était chargé de chaînes, accompagné de quatre chiens ; et sa bouche, dans laquelle on avait mis une petite boîte ronde pleine d’étoupes, jetait des flammes. Ce prieur dit à Yetser qu’il était un ancien moine mis en purgatoire pour avoir quitté l’habit, et qu’il en serait délivré, si le jeune Yetser voulait bien se faire fouetter en sa faveur par les moines devant le grand autel ; Yetser n’y manqua pas. Il délivra l’âme du purgatoire. L’âme lui apparut rayonnante et en habit blanc, pour lui apprendre qu’elle était montée au ciel, et pour lui recommander les intérêts de la Vierge que les cordeliers calomniaient.

Quelques nuits après, sainte Barbe, à qui frère Yetser avait une grande dévotion, lui apparut : c’était un autre moine qui était sainte Barbe ; elle lui dit qu’il était saint, et qu’il était chargé par la Vierge de la venger de la mauvaise doctrine des cordeliers.

Enfin la Vierge descendit elle-même par le plafond avec deux anges ; elle lui commanda d’annoncer qu’elle était née dans le péché originel, et que les cordeliers étaient les plus grands ennemis de son fils. Elle lui dit qu’elle voulait l’honorer des cinq plaies dont sainte Lucie et sainte Catherine avaient été favorisées.

La nuit suivante les moines ayant fait boire au frère du vin mêlé d’opium, on lui perça les mains, les pieds, et le côté. Il se réveilla tout en sang. On lui dit que la Sainte Vierge lui avait imprimé les stigmates ; et en cet état, on l’exposa sur l’autel à la vue du peuple.

Cependant, malgré son imbécillité, le pauvre frère, ayant cru reconnaître dans la sainte Vierge la voix du sous-prieur, commença à soupçonner l’imposture. Les moines n’hésitèrent pas à l’empoisonner : on lui donna, en le communiant, une hostie saupoudrée de sublimé corrosif. L’âcreté qu’il ressentit lui fit rejeter l’hostie : aussitôt les moines le chargèrent de chaînes comme un sacrilége. Il promit, pour sauver sa vie, et jura sur une hostie, qu’il ne révélerait jamais le secret. Au bout de quelque temps, ayant trouvé le moyen de s’évader, il alla tout déposer devant le magistrat. Le procès dura deux années, au bout desquelles quatre dominicains furent brûlés à la porte de Berne, le dernier mai 1509 (ancien style), après la condamnation prononcée par un évêque délégué de Rome.

Cette aventure inspira une horreur pour les moines telle