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DE LUTHER. DES INDULGENCES.

quoique peut-être il fût, dans le fond, de son avis sur quelques articles, comme les Espagnols l’en soupçonnèrent après sa mort[1]. On peut ajouter qu’au moment où Charles-Quint renonça au gouvernement, les États de la maison d’Autriche en Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, Naples, étaient remplis de protestants ; que les catholiques mêmes de tous ces pays demandaient une réforme ; qu’il lui eût été facile, en excluant le pape et ses sujets du concile, d’en obtenir des décisions conformes à l’intérêt général de l’Europe ; qu’il en eût été le maître, surtout du temps de Paul IV, pontife également sanguinaire et insensé. Il imagina malheureusement qu’avec des bulles, des rescrits, et de l’or, il se rendrait le maître de l’Allemagne et de l’Italie ; et après trente ans d’intrigues et de guerres, il se trouva beaucoup moins puissant, lorsqu’il abdiqua l’empire, qu’au moment de son élection.

Il somma Luther de venir rendre compte de sa doctrine en sa présence à la diète impériale de Vorms, c’est-à-dire de venir y déclarer s’il soutenait les dogmes que Rome avait proscrits (1521). Luther comparut avec un sauf-conduit de l’empereur, s’exposant hardiment au sort de Jean Hus ; mais cette assemblée étant composée de princes, il se fia à leur honneur. Il parla devant l’empereur et devant la diète, et soutint sa doctrine avec courage. On prétend que Charles-Quint fut sollicité par le nonce Alexandre de faire arrêter Luther, malgré le sauf-conduit, comme Sigismond avait livré Jean Hus, sans égard pour la foi publique ; mais que Charles-Quint répondit « qu’il ne voulait pas avoir à rougir comme Sigismond ».

Cependant Luther, ayant contre lui son empereur, le roi d’Angleterre, le pape, tous les évêques, et tous les religieux, ne s’étonna pas : caché dans une forteresse de Saxe, il brava l’empereur, irrita la moitié de l’Allemagne contre le pape, répondit au roi d’Angleterre comme à son égal, fortifia et étendit son église naissante.

Le vieux Frédéric, électeur de Saxe, souhaitait l’extirpation de l’Église romaine. Luther crut qu’il était temps enfin d’abolir la messe privée. Il s’y prit d’une manière qui, dans un temps plus éclairé, n’eût pas trouvé beaucoup d’applaudissements. Il feignit que le diable, lui étant apparu, lui avait reproché de dire la messe et de consacrer. Le diable lui prouva, dit-il, que c’était une idolâtrie. Luther, dans le récit de cette fiction, avoua que le diable avait raison, et qu’il fallait l’en croire. La messe fut abolie dans

  1. Voyez la note de la page 276.