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DE LÉON X, ET DE L’ÉGLISE.

anciennes lois des nations de l’Europe, dans celles des Francs, des Saxons, des Bourguignons. La cour pontificale n’avait adopté cette évaluation des péchés et des dispenses que dans les temps d’anarchie, et même quand les papes n’osaient résider à Rome. Jamais aucun concile ne mit la taxe des péchés parmi les articles de foi.

Il y avait des abus violents, il y en avait de ridicules. Ceux qui dirent qu’il fallait réparer l’édifice, et non le détruire, semblent avoir dit tout ce qu’on pouvait répondre aux cris des peuples indignés. Le grand nombre de pères de famille qui travaillent sans cesse pour assurer à leurs femmes et à leurs enfants une médiocre fortune, le nombre beaucoup supérieur d’artisans, de cultivateurs, qui gagnent leur pain à la sueur de leur front, voyaient avec douleur des moines entourés du faste et du luxe des souverains : on répondait que ces richesses, répandues par ce faste même, rentraient dans la circulation. Leur vie molle, loin de troubler l’intérieur de l’Église, en affermissait la paix ; et leurs abus, eussent-ils été plus excessifs, étaient moins dangereux sans doute que les horreurs des guerres et le saccagement des villes. On oppose ici le sentiment de Machiavel, le docteur de ceux qui n’ont que de la politique. Il dit, dans ses discours sur Tite-Live, que « si les Italiens de son temps étaient excessivement méchants, on le devait imputer à la religion et aux prêtres ». Mais il est clair qu’il ne peut avoir en vue les guerres de religion, puisqu’il n’y en avait point alors ; il ne peut entendre par ces paroles que les crimes de la cour du pape Alexandre VI, et l’ambition de plusieurs ecclésiastiques, ce qui est très-étranger aux dogmes, aux disputes, aux persécutions, aux rébellions, à cet acharnement de la haine théologique qui produisit tant de meurtres.

Venise même, dont le gouvernement passait pour le plus sage de l’Europe, avait, dit-on, très-grand soin d’entretenir tout son clergé dans la débauche, afin qu’étant moins révéré il fût sans crédit parmi le peuple, et ne pût le soulever. Il y avait cependant partout des hommes de mœurs très-pures, des pasteurs dignes de l’être, des religieux soumis de cœur à des vœux qui effrayent la mollesse humaine ; mais ces vertus sont ensevelies dans l’obscurité, tandis que le luxe et le vice dominent dans la splendeur.

Le faste de la cour voluptueuse de Léon X pouvait blesser les yeux ; mais aussi ou devait voir que cette cour même poliçait l’Europe, et rendait les hommes plus sociables. La religion, depuis la persécution contre les hussites, ne causait plus aucun trouble dans le monde. L’Inquisition exerçait, à la vérité, de grandes