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CHAPITRE CXXVI.

Le possesseur du Mexique est obligé d’emprunter deux cent mille écus d’or du duc de Florence Cosme, pour tâcher de reprendre Metz ; et s’étant raccommodé avec les luthériens pour se venger du roi de France, il assiége cette ville à la tête de cinquante mille combattants (1552). Ce siége est un des plus mémorables dans l’histoire ; il fait la gloire éternelle de François de Guise, qui défendit la ville soixante-cinq jours contre Charles-Quint, et qui le contraignit enfin d’abandonner son entreprise, après avoir perdu le tiers de son armée.

La puissance de Charles-Quint n’était alors qu’un amas de grandeurs et de dignités entouré de précipices. Les agitations de sa vie ne lui permirent jamais de faire de ses vastes États un corps régulier et robuste dont toutes les parties s’aidassent mutuellement, et lui fournissent de grandes armées toujours entretenues. C’est ce que sut faire Charlemagne ; mais ses États se touchaient, et, vainqueur des Saxons et des Lombards, il n’avait point un Soliman à repousser, des rois de France à combattre, de puissants princes d’Allemagne et un pape, plus puissant, à réprimer ou à craindre.

Charles sentait trop quel ciment était nécessaire pour bâtir un édifice aussi fort que celui de la grandeur de Charlemagne. Il fallait que Philippe son fils eût l’empire ; alors ce prince, que les trésors du Mexique et du Pérou rendirent plus riche que tous les rois de l’Europe ensemble, eût pu parvenir à cette monarchie universelle, plus aisée à imaginer qu’à saisir.

C’est dans cette vue que Charles-Quint fit tous ses efforts pour engager son frère Ferdinand, roi des Romains, à céder l’empire à Philippe ; mais à quoi aboutit cette proposition révoltante ? à brouiller pour jamais Philippe et Ferdinand.

(1556) Enfin, lassé de tant de secousses, vieilli avant le temps, détrompé de tout, parce qu’il avait tout éprouvé, il renonce à ses couronnes et aux hommes, à l’âge de cinquante-six ans, c’est-à-dire à l’âge où l’ambition des autres hommes est dans toute sa force, et où tant de rois subalternes nommés ministres ont commencé la carrière de leur grandeur.

On prétend que son esprit se dérangea dans sa solitude de Saint-Just. En effet, passer la journée à démonter des pendules et à tourmenter des novices, se donner dans l’église la comédie de son propre enterrement, se mettre dans un cercueil, et chanter son De profundis, ce ne sont pas là des traits d’un cerveau bien organisé[1].

  1. On sait aujourd’hui que tout cela n’est qu’une fable, et que Charles-Quint à Saint-Just administrait bel et bien les affaires de l’empire.