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CHAPITRE CXXV.

rement comme deux gentilshommes voisins après la prison de Madrid, après des démentis par la gorge, des défis, des duels proposés en présence du pape en plein consistoire, après la ligue du roi de France avec Soliman ; enfin après que l’empereur a été accusé aussi publiquement qu’injustement d’avoir fait empoisonner le premier dauphin, et lorsqu’il se voit condamné comme contumace par une cour de judicature, dans le même pays qu’il a fait trembler tant de fois ?

Cependant ces deux grands rivaux se voient à la rade d’Aigues-Mortes : le pape avait ménagé cette entrevue après une trêve. Charles-Quint même descendit à terre, fit la première visite, et se mit entre les mains de son ennemi : c’était la suite de l’esprit du temps ; Charles se défia toujours des promesses du monarque, et se livra à la foi du chevalier.

Le duc de Savoie fut longtemps la victime de cette entrevue. Ces deux monarques, qui, en se voyant avec tant de familiarité, prenaient toujours des mesures l’un contre l’autre, gardèrent les places du duc : le roi de France, pour se frayer un passage dans l’occasion vers le Milanais ; et l’empereur, pour l’en empêcher.

Charles-Quint, après cette entrevue à Aigues-Mortes, fait un voyage à Paris, qui est bien plus étonnant que celui des empereurs Sigismond et Charles IV.

Retourné en Espagne, il apprend que la ville de Gand s’est révoltée en Flandre. De savoir jusqu’où cette ville avait dû soutenir ses priviléges, et jusqu’où elle en avait abusé, c’est un problème qu’il n’appartient qu’à la force de résoudre. Charles-Quint voulait l’assujettir et la punir : il demande passage au roi, qui lui envoie le dauphin et le duc d’Orléans jusqu’à Bayonne, et qui va lui-même au-devant de lui jusqu’à Châtellerault.

L’empereur aimait à voyager, à se montrer à tous les peuples de l’Europe, à jouir de sa gloire : ce voyage fut un enchaînement de fêtes, et le but était d’aller faire pendre vingt-quatre malheureux citoyens. Il eût pu aisément s’épargner tant de fatigues en envoyant quelques troupes à la gouvernante des Pays-Bas : on peut même s’étonner qu’il n’en eût pas laissé assez en Flandre pour réprimer la révolte des Gantois ; mais c’était alors la coutume de licencier ses troupes après une trêve ou une paix.

Le dessein de François ler en recevant l’empereur dans ses États avec tant d’appareil et de bonne foi, était d’obtenir enfin de lui la promesse de l’investiture du Milanais. Ce fut dans cette vaine idée qu’il refusa l’hommage que lui offraient les Gantois : il n’eut ni Gand ni Milan,