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DE CHARLES-QUINT, ET DE FRANÇOIS Ier.

donner à chaque chose son nom véritable. Le traître est celui qui livre le trésor, ou le secret, ou les places de son maître, ou son maître lui-même à l’ennemi. Le terme latin tradere, dont traître dérive, n’a pas d’autre signification.

C’était un persécuté fugitif qui se dérobait aux vexations d’une cour injuste et corrompue, et qui s’allait mettre sous la protection d’un défenseur puissant pour se venger les armes à la main.

Le connétable de Bourbon, loin de livrer à Charles-Quint rien de ce qui appartenait au roi de France, se livra seul à lui dans la Franche-Comté, où il s’enfuit sans aucun secours.

(1523) Dès qu’il fut entré sur les terres de l’empire, il rompit publiquement tous les liens qui l’attachaient au roi dont il était outragé ; il renonça à toutes ses dignités, et accepta le titre de généralissime des armées de l’empereur. Ce n’était point trahir le roi, c’était se déclarer contre lui ouvertement. Sa franchise était à la vérité celle d’un rebelle, sa défection était condamnable ; mais il n’y avait assurément ni perfidie ni bassesse. Il était à peu près dans le même cas que le prince Louis de Bourbon, nommé le grand Condé, qui, pour se venger du cardinal Mazarin, alla se mettre à la tête des armées espagnoles. Ces deux princes furent également rebelles, mais aucun d’eux n’a été perfide.

Il est vrai que la cour de France, soumise à la duchesse d’Angoulême, ennemie du connétable, persécuta les amis du fugitif. Le chancelier Duprat surtout, homme dur autant que servile, le fit condamner lui et ses amis comme traîtres ; mais la trahison et la rébellion sont deux choses très-différentes.

Tous nos livres en ana, tous nos recueils de contes ont répété l’historiette d’un grand d’Espagne qui brûla sa maison à Madrid parce que le traître Bourbon y avait couché. Cette anecdote est aisément détruite ; le connétable de Bourbon n’alla jamais en Espagne, et d’ailleurs la grandeur espagnole consista toujours à protéger les Français persécutés dans leur patrie.

Le connétable, en qualité de généralissime des armées de l’empereur, va dans le Milanais, où les Français étaient rentrés sous l’amiral Bonnivet, son plus grand ennemi. Un connétable qui connaissait le fort et le faible de toutes les troupes de France devait avoir un grand avantage. Charles en avait de plus grands : presque tous les princes d’Italie étaient dans ses intérêts ; les peuples haïssaient la domination française ; et enfin il avait les meilleurs généraux de l’Europe : c’était un marquis de Pescaire, un Lannoy, un Jean de Médicis, noms fameux encore de nos jours.

L’amiral Bonnivet, opposé à ces généraux, ne leur fut pas