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DE LA FRANCE, ET DE L’ANGLETERRE.

régence de la reine Blanche, et le règne glorieux de tant de femmes, dans presque tous les pays de l’Europe, réfutent assez la grossièreté de Mézerai. D’ailleurs l’article de cette ancienne loi, qui ôte toute hérédité aux filles en terre salique, semble ne la leur ravir que parce que tout seigneur salien était obligé de se trouver en armes aux assemblées de la nation : or une reine n’est point obligée de porter les armes, la nation les porte pour elle. Ainsi on peut dire que la loi salique, d’ailleurs si peu connue, regardait les autres fiefs, et non la couronne. C’était si peu une loi pour les rois qu’elle ne se trouve que sous le titre de allodiis, des alleuds. Si c’est une loi des anciens Saliens, elle a donc été faite avant qu’il y eût des rois de France ; elle ne regardait donc point ces rois[1].

De plus, il est indubitable que plusieurs fiefs n’étaient point soumis à cette loi ; à plus forte raison pouvait-on alléguer que la couronne n’y devait pas être assujettie.

On a toujours voulu fortifier ses opinions, quelles qu’elles fussent, par l’autorité des livres sacrés : les partisans de la loi salique ont cité ce passage que les lis ne travaillent ni ne filent[2]; et de là ils ont conclu que les filles, qui doivent filer, ne doivent pas régner dans le royaume des lis. Cependant les lis ne travaillent point, et un prince doit travailler ; les léopards d’Angleterre et les tours de Castille ne filent pas plus que les lis de France, et les filles peuvent régner en Castille et en Angleterre. De plus, les armoiries des rois de France ne ressemblèrent jamais à des lis ; c’est évidemment le bout d’une hallebarde, telles qu’elles sont décrites dans les mauvais vers de Guillaume le Breton :

Cuspidis in medio uncum emittit acutum.
L’écu de France est un fer pointu au milieu de la hallebarde.

Toutes les raisons contre la loi salique furent opiniâtrement soutenues par le duc de Bourgogne, oncle de la princesse fille de Hutin, et par plusieurs princesses du sang. Louis Hutin avait deux frères, qui en peu de temps lui succédèrent, comme on sait, l’un après l’autre : l’aîné, Philippe le Long, et Charles le Bel, le cadet. Charles alors, ne croyant pas qu’il touchait à la couronne, combattit la loi salique par jalousie contre son frère.

  1. Voyez l’article Loi salique, dans le Dictionnaire philosophique. (Note de Voltaire.)
  2. Lilia... neque laborant neque nent. (Matth., vi, 28.)