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ÉTAT DE L’EUROPE AU XVIe SIÈCLE.

l’honneur de voir plaider devant lui, comme on l’a déjà dit[1], la cause de la maison d’Anjou. La reine de Naples, Marie, parla elle-même devant le consistoire ; et Boniface donna la Hongrie au prince Carobert, fils de Charles Martel, et petit-fils de cette Marie.

(1306) Ce Carobert fut donc en effet roi par la grâce du pape, soutenu de son parti et de son épée. La Hongrie, sous lui, devint plus puissante que les empereurs, qui la regardaient comme un fief. Carobert réunit la Dalmatie, la Croatie, la Servie, la Transylvanie, la Valachie, provinces démembrées du royaume dans la suite des temps.

Le fils de Carobert, nommé Louis, frère de cet André de Hongrie que la reine de Naples Jeanne, sa femme, fit étrangler, accrut encore la puissance des Hongrois. Il passa au royaume de Naples pour venger le meurtre de son frère. Il aida Charles de Durazzo à détrôner Jeanne, sans l’aider dans la cruelle mort dont Durazzo fit périr cette reine[2]. De retour dans la Hongrie, il y acquit une vraie gloire, car il fut juste : il fit de sages lois ; il abolit les épreuves du fer ardent et de l’eau bouillante, d’autant plus accréditées que les peuples étaient plus grossiers.

On remarque toujours qu’il n’y a guère de grand homme qui n’ait aimé les lettres. Ce prince cultivait la géométrie et l’astronomie. Il protégeait les autres arts. C’est à cet esprit philosophique, si rare alors, qu’il faut attribuer l’abolition des épreuves superstitieuses. Un roi qui connaissait la saine raison était un prodige dans ces climats. Sa valeur fut égale à ses autres qualités. Ses peuples le chérirent, les étrangers l’admirèrent ; les Polonais, sur la fin de sa vie, l’élurent pour leur roi (1370). Il régna heureusement quarante ans en Hongrie, et douze ans en Pologne. Les peuples lui donnèrent le nom de Grand, dont il était digne. Cependant il est presque ignoré en Europe : il n’avait pas régné sur des hommes qui sussent transmettre sa gloire aux nations. Qui sait qu’au XIVe siècle il y eut un Louis le Grand vers les monts Krapac ?

Il était si aimé que les états élurent (1382) sa fille Marie, qui n’était pas encore nubile, et l’appelèrent Marie-roi, titre qu’ils ont encore renouvelé de nos jours pour la fille du dernier empereur de la maison d’Autriche[3].

  1. Chapitre lxiii.
  2. Voyez Chapitre lxix.
  3. Marie-Thérèse, fille de Charles VI.