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CHAPITRE XCIX.

Ce furent ces anciens tournois qui donnèrent naissance longtemps auparavant aux armoiries, vers le commencement du xiie siècle. Tous les blasons qu’on suppose avant ce temps sont évidemment faux, ainsi que toutes ces prétendues lois des chevaliers de la Table ronde, tant chantés par les romans. Chaque chevalier qui se présentait avec le casque fermé faisait peindre sur son bouclier ou sur sa cotte d’armes quelques figures de fantaisie. De là ces noms si célèbres dans les anciens romanciers, de chevaliers des aigles et des lions. Les termes du blason, qui paraissent aujourd’hui un jargon ridicule et barbare, étaient alors des mots communs. La couleur de feu était appelé gueules, le vert était nommé sinople, un pieu était un pal, une bande était une fasce, de fascia, qu’on écrivit depuis face.

Si ces jeux guerriers des tournois avaient jamais dû être autorisés, c’était dans le temps des croisades, où l’exercice des armes était nécessaire, et devenait consacré ; cependant c’est dans ce temps même que les papes s’avisèrent de les défendre, et d’anathématiser une image de la guerre, eux qui avaient si souvent excité des guerres véritables. Entre autres, Nicolas III, le même qui depuis conseilla les Vêpres siciliennes, excommunia tous ceux qui avaient combattu et même assisté à un tournoi en France sous Philippe le Hardi (1279) ; mais d’autres papes approuvèrent ces combats, et le roi de France Jean donna au pape Urbain V le spectacle d’un tournoi, lorsque après avoir été prisonnier à Londres il alla se croiser à Avignon, dans le dessein chimérique d’aller combattre les Turcs, au lieu de penser à réparer les malheurs de son royaume.

L’empire grec n’adopta que très-tard les tournois ; toutes les coutumes de l’Occident étaient méprisées des Grecs ; ils dédaignaient les armoiries, et la science du blason leur parut ridicule. Enfin le jeune empereur Andronic ayant épousé une princesse de Savoie (1326), quelques jeunes Savoyards donnèrent le spectacle d’un tournoi à Constantinople : les Grecs alors s’accoutumèrent à cet exercice militaire ; mais ce n’était pas avec des tournois qu’on pouvait résister aux Turcs : il fallait de bonnes armées et un bon gouvernement, que les Grecs n’eurent presque jamais.

L’usage des tournois se conserva dans toute l’Europe. Un des plus solennels fut celui de Boulogne-sur-Mer (1309), au mariage d’Isabelle de France avec Édouard II, roi d’Angleterre. Édouard III en fit deux beaux à Londres. Il y en eut même un à Paris du temps du malheureux Charles VI ; ensuite vinrent ceux de René d’Anjou, dont nous avons déjà parlé (1415). Le nombre en fut