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DU GOUVERNEMENT FÉODAL APRÈS LOUIS XI.

parce qu’ils négociaient pour lui donner le dauphin de France. Ces deux ministres furent exécutés aux yeux de la jeune princesse, qui demandait en vain leur grâce à ce peuple féroce.

Maximilien, appelé par les Gantois plus que par la princesse, vint conclure ce mariage comme un simple gentilhomme qui fait sa fortune avec une héritière : sa femme fournit aux frais de son voyage, à son équipage, à son entretien. Il eut cette princesse, mais non ses États : il ne fut que le mari d’une souveraine, et même, lorsque après la mort de sa femme on lui donna la tutelle de son fils, lorsqu’il eut l’administration des Pays-Bas, lorsqu’il venait d’être élu roi des Romains et César, les habitants de Bruges le mirent quatre mois en prison, en 1488, pour avoir violé leurs priviléges. Si les princes ont abusé souvent de leur pouvoir, les peuples n’ont pas moins abusé de leurs droits.

Ce mariage de l’héritière de Bourgogne avec Maximilien fut la source de toutes les guerres qui ont mis pendant tant d’années la maison de France aux mains avec celle d’Autriche. C’est ce qui produisit la grandeur de Charles-Quint ; c’est ce qui mit l’Europe sur le point d’être asservie : et tous ces grands événements arrivèrent parce que des bourgeois de Gand s’étaient opiniâtrés à marier leur princesse.

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CHAPITRE XCVI.

Du gouvernement féodal après Louis XI, au xve siècle.


Vous avez vu en Italie, en France, en Allemagne, l’anarchie se tourner en despotisme sous Charlemagne, et le despotisme détruit par l’anarchie sous ses descendants.

Vous savez que c’est une erreur de penser que les fiefs n’eussent jamais été héréditaires avant les temps de Hugues Capet : la Normandie est une assez grande preuve du contraire ; la Bavière et l’Aquitaine avaient été héréditaires avant Charlemagne ; presque tous les fiefs l’étaient en Italie sous les rois lombards. Du temps de Charles le Gros et de Charles le Simple, les grands officiers s’arrogèrent les droits régaliens, ainsi que quelques évêques ; mais il y avait toujours eu des possesseurs de grandes terres, des sires en France, des Herrens en Allemagne, des ricos hombres en Espagne.