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CHAPITRE XCV.

pris par un Suisse à la bataille de Granson, fut vendu au général pour un écu, aurait-on prévu alors qu’il y aurait un jour en Suisse des villes aussi belles et aussi opulentes que l’était la capitale du duché de Bourgogne ? Le luxe des diamants, des étoffes d’or, y fut longtemps ignoré ; et quand il a été connu, il a été prohibé ; mais les solides richesses, qui consistent dans la culture de la terre, y ont été recueillies par des mains libres et victorieuses. Les commodités de la vie y ont été recherchées de nos jours. Toutes les douceurs de la société, et la saine philosophie, sans laquelle la société n’a point de charme durable, ont pénétré dans les parties de la Suisse où le climat est le plus doux, et où règne l’abondance. Enfin, dans ces pays autrefois si agrestes, on est parvenu en quelques endroits à joindre la politesse d’Athènes à la simplicité de Lacédémone.

Cependant Charles le Téméraire voulut se venger sur la Lorraine, et arracher au duc René, légitime possesseur, la ville de Nancy, qu’il avait déjà prise une fois ; mais ces mêmes Suisses vainqueurs, assistés de ceux de Fribourg et de Soleure, dignes par là d’entrer dans leur alliance, défirent encore l’usurpateur, qui paya de son sang le nom de Téméraire que la postérité lui donne (1477).

Ce fut alors que Louis XI s’empara de l’Artois et des villes sur la Somme, du duché de Bourgogne comme d’un fief mâle, et de la ville de Besançon, par droit de bienséance.

La princesse Marie, fille de Charles le Téméraire, unique héritière de tant de provinces, se vit donc tout d’un coup dépouillée des deux tiers de ses États. On aurait pu joindre encore au royaume de France les dix-sept provinces qui restaient à peu près à cette princesse, en lui faisant épouser le fils de Louis XI. Ce roi se flatta vainement d’avoir pour bru celle qu’il dépouillait ; et ce grand politique manqua l’occasion d’unir au royaume la Franche-Comté et tous les Pays-Bas.

Les Gantois et le reste des Flamands, plus libres alors sous leurs souverains que les Anglais mêmes ne le sont aujourd’hui sous leurs rois, destinèrent à leur princesse Maximilien, fils de l’empereur Frédéric III.

Aujourd’hui les peuples apprennent les mariages de leurs princes, la paix et la guerre, les établissements des impôts, et toute leur destinée, par une déclaration de leurs maîtres : il n’en était pas ainsi en Flandre. Les Gantois voulurent que leur princesse épousât un Allemand, et ils firent couper la tête au chancelier de Marie de Bourgogne, et à Imbercourt, son chambellan,