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ORPHÉE, MINOS, IMMORTALITÉ DE L’AME.

témoignage. Pausanias, l’auteur le plus exact qu’aient jamais eu les Grecs, dit que ses vers étaient chantés dans les cérémonies religieuses, de préférence à ceux d’Homère, qui ne vint que longtemps après lui. On sait bien qu’il ne descendit pas aux enfers ; mais cette fable même prouve que les enfers étaient un point de la théologie de ces temps reculés.

L’opinion vague de la permanence de l’âme après la mort, âme aérienne, ombre du corps, mânes, souffle léger, âme inconnue, âme incompréhensible, mais existante, et la croyance des peines et des récompenses dans une autre vie, étaient admises dans toute la Grèce, dans les Iles, dans l’Asie, dans l’Égypte.

Les Juifs seuls parurent ignorer absolument ce mystère ; le livre de leurs lois n’en dit pas un seul mot : on n’y voit que des peines et des récompenses temporelles. Il est dit dans l’Exode : « Honore ton père et ta mère, afin qu’Adonaï prolonge tes jours sur la terre ; » et le livre du Zend (porte 11) dit : « Honore ton père et ta mère, afin de mériter le ciel. »

Warburton, le commentateur de Shakespeare, et de plus auteur de la Légation de Moïse, n’a pas laissé de démontrer dans Légation que Moïse n’a jamais fait mention de l’immortalité de l’âme : il a même prétendu que ce dogme n’est point du tout nécessaire dans une théocratie. Tout le clergé anglican s’est révolté contre la plupart de ses opinions, et surtout contre l’absurde arrogance avec laquelle il les débite dans sa compilation trop pédantesque. Mais tous les théologiens de cette savante Église sont convenus que le dogme de l’immortalité n’est pas ordonné dans le Pentateuque. Cela est, en effet, plus clair que le jour.

Arnauld,le grand Arnauld, esprit supérieur en tout à Warburton, avait dit longtemps avant lui, dans sa belle apologie de Port-Royal, ces propres paroles: « C’est le comble de l’ignorance de mettre en doute cette vérité, qui est des plus communes, et qui est attestée par tous les pères, que les promesses de l’Ancien Testament n’étaient que temporelles et terrestres, et que les Juifs n’adoraient Dieu que pour les biens charnels. »

On a objecté que si les Perses, les Arabes, les Syriens, les Indiens, les Égyptiens, les Grecs, croyaient l’immortalité de l’âme, une vie à venir, des peines et des récompenses éternelles, les Hébreux pouvaient bien aussi les croire ; que si tous les législateurs de l’antiquité ont établi de sages lois sur ce fondement, Moïse pouvait bien en user de même ; que, s’il ignorait ces dogmes utiles, il n’était pas digne de conduire une nation ; que, s’il les savait et les cachait, il en était encore plus indigne.