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DÉLUGES, ALPHABETS, ET GÉNIE DES GRECS.

tés trouvent peu de sectateurs ; les plus grands hommes meurent sans honneur. Les Thémistocle, les Cimon, les Miltiade, les Aristide, les Phocion, sont persécutés ; tandis que Persée, Bacchus, et d’autres personnages fantastiques, ont des temples.

On peut croire un peuple sur ce qu’il dit de lui-même à son désavantage, quand ces récits sont accompagnés de vraisemblance, et qu’ils ne contredisent en rien l’ordre ordinaire de la nature.

Les Athéniens, qui étaient épars dans un terrain très-stérile, nous apprennent eux-mêmes qu’un Égyptien nommé Cécrops, chassé de son pays, leur donna leurs premières institutions. Cela paraît surprenant, puisque les Égyptiens n’étaient pas navigateurs ; mais il se peut que les Phéniciens, qui voyageaient chez toutes les nations, aient amené ce Cécrops dans l’Attique. Ce qui est bien sûr, c’est que les Grecs ne prirent point les lettres égyptiennes, auxquelles les leurs ne ressemblent point du tout. Les Phéniciens leur portèrent leur premier alphabet ; il ne consistait alors qu’en seize caractères, qui sont évidemment les mêmes : les Phéniciens depuis y ajoutèrent huit autres lettres, que les Grecs adoptèrent encore.

Je regarde un alphabet comme un monument incontestable du pays dont une nation a tiré ses premières connaissances. Il paraît encore bien probable que ces Phéniciens exploitèrent les mines d’argent qui étaient dans l’Attique, comme ils travaillèrent à celles d’Espagne. Des marchands furent les premiers précepteurs de ces mêmes Grecs, qui depuis instruisirent tant d’autres nations.

Ce peuple, tout barbare qu’il était au temps d’Ogygès, paraît né avec des organes plus favorables aux beaux-arts que tous les autres peuples. Ils avaient dans leur nature je ne sais quoi de plus fin et de plus délié ; leur langage en est un témoignage, car, avant même qu’ils sussent écrire, on voit qu’ils eurent dans leur langue un mélange harmonieux de consonnes douces et de voyelles qu’aucun peuple de l’Asie n’a jamais connu.

Certainement le nom de Knath, qui désigne les Phéniciens, selon Sanchoniathon, n’est pas si harmonieux que celui d’Hellen ou Graïos[1]. Argos, Athènes, Lacédémone, Olympie, sonnent mieux à l’oreille que la ville de Reheboth. Sophia, la sagesse, est plus doux que shochemath en syriaque et en hébreu. Basileus, roi, sonne mieux que melk ou shah. Comparez les noms d’Agamemnon, de Diomède, d’Idoménée, à ceux de Mardokempad,

  1. Les premières éditions portaient Hellenos ou Graios. Larcher remarqua qu’il fallait dire Hellen ou Graïcos. (B.)