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DÉLUGES, ALPHABETS, ET GÉNIE DES GRECS.

noms des premiers magistrats de ces petites provinces, et on leur donne le nom de Basiléis[1] qui répond à celui de princes. Ne perdons point de temps à pénétrer ces inutiles obscurités.

Il y eut encore une autre inondation du temps de Deucalion, fils de Prométhée, La fable ajoute qu’il ne resta des habitants de ces climats que Deucalion et Pyrrha, qui refirent des hommes en jetant des pierres derrière eux entre leurs jambes. Ainsi le genre humain se repeupla beaucoup plus vite qu’une garenne.

Si l’on en croit des hommes très-judicieux, comme Pétau le jésuite, un seul fils de Noé produisit une race qui, au bout de deux cent quatre-vingt-cinq ans, se montait à six cent vingt-trois milliards six cent douze millions d’hommes : le calcul est un peu fort. Nous sommes aujourd’hui assez malheureux pour que de vingt-six mariages il n’y en ait d’ordinaire que quatre dont il reste des enfants qui deviennent pères : c’est ce qu’on a calculé sur les relevés des registres de nos plus grandes villes. De mille enfants nés dans une même année, il en reste à peine six cents au bout de vingt ans. Défions-nous de Pétau et de ses semblables, qui font des enfants à coups de plume, aussi bien que de ceux qui ont écrit que Deucalion et Pyrrha peuplèrent la Grèce à coups de pierres.

La Grèce fut, comme on sait, le pays des fables ; et presque chaque fable fut l’origine d’un culte, d’un temple, d’une fête publique. Par quel excès de démence, par quel opiniâtreté absurde, tant de compilateurs ont-ils voulu prouver, dans tant de volumes énormes, qu’une fête publique établie en mémoire d’un événement était une démonstration de la vérité de cet événement ? Quoi ! parce qu’on célébrait dans un temple le jeune Bacchus sortant de la cuisse de Jupiter, ce Jupiter avait en effet gardé ce Bacchus dans sa cuisse ! Quoi! Cadmus et sa femme avaient été changés en serpents dans la Béotie, parce que les Béotiens en faisaient commémoration dans leurs cérémonies ! Le temple de Castor et de Pollux à Rome démontrait-il que ces dieux étaient venus combattre en faveur des Romains?

Soyez sûr bien plutôt, quand vous voyez une ancienne fête, un temple antique, qu’ils sont les ouvrages de l’erreur : cette erreur s’accrédite au bout de deux ou trois siècles ; elle devient enfin sacrée, et l’on bâtit des temples à des chimères.

Dans les temps historiques, au contraire, les plus nobles véri-

  1. La première édition et ses réimpressions portaient Basiloï. Ce fut le sujet de critiques dures de la part de Larcher. (B.)