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DE LA CHINE.

Il est évident que l’empire de la Chine était formé il y a plus de quatre mille ans. Ce peuple antique n’entendit jamais parler d’aucune de ces révolutions physiques, de ces inondations, de ces incendies, dont la faible mémoire s’était conservée et altérée dans les fables du déluge de Deucalion et de la chute de Phaéton. Le climat de la Chine avait donc été préservé de ces fléaux, comme il le fut toujours de la peste proprement dite, qui a tant de fois ravagé l’Afrique, l’Asie, et l’Europe.

Si quelques annales portent un caractère de certitude, ce sont celles des Chinois, qui ont joint, comme on l’a déjà dit ailleurs[1], l’histoire du ciel à celle de la terre. Seuls de tous les peuples, ils ont constamment marqué leurs époques par des éclipses, par les conjonctions des planètes ; et nos astronomes, qui ont examiné leurs calculs, ont été étonnés de les trouver presque tous véritables. Les autres nations inventèrent des fables allégoriques ; et les Chinois écrivirent leur histoire, la plume et l’astrolabe à la main, avec une simplicité dont on ne trouve point d’exemple dans le reste de l’Asie.

Chaque règne de leurs empereurs a été écrit par des contemporains ; nulles différentes manières de compter parmi eux ; nulles chronologies qui se contredisent. Nos voyageurs missionnaires rapportent, avec candeur, que lorsqu’ils parlèrent au sage empereur Cam-hi des variations considérables de la chronologie de la Vulgate, des Septante, et des Samaritains, Cam-hi leur répondit : « Est-il possible que les livres en qui vous croyez se combattent ? »

Les Chinois écrivaient sur des tablettes légères de bambou, quand les Chaldéens n’écrivaient que sur des briques grossières ; et ils ont même encore de ces anciennes tablettes que leur vernis a préservées de la pourriture : ce sont peut-être les plus anciens monuments du monde. Point d’histoire chez eux avant celle de leurs empereurs ; presque point de fictions, aucun prodige, nul homme inspiré qui se dise demi-dieu, comme chez les Égyptiens et chez les Grecs ; dès que ce peuple écrit, il écrit raisonnablement.

Il diffère surtout des autres nations en ce que leur histoire ne fait aucune mention d’un collége de prêtres qui ait jamais influé sur les lois. Les Chinois ne remontent point jusqu’aux temps sauvages où les hommes eurent besoin qu’on les trompât pour les conduire. D’autres peuples commencèrent leur histoire par l’origine du monde : le Zend des Perses, le Shasta et le Veidam des

  1. Essai sur les Mœurs, chapitre ier.