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DE LA CHINE.

croire une partie de la Divinité, c’est s’imposer la loi de ne rien faire qui ne soit digne de Dieu même.

On trouve, dans cette loi des brachmanes, dix commandements, et ce sont dix péchés à éviter. Ils sont divisés en trois espèces : les péchés du corps, ceux de la parole, ceux de la volonté. Frapper, tuer son prochain, le voler, violer les femmes, ce sont les péchés du corps ; dissimuler, mentir, injurier, ce sont les péchés de la parole ; ceux de la volonté consistent à souhaiter le mal, à regarder le bien des autres avec envie, à n’être pas touché des misères d’autrui. Ces dix commandements font pardonner tous les rites ridicules. On voit évidemment que la morale est la même chez toutes les nations civilisées, tandis que les usages les plus consacrés chez un peuple paraissent aux autres ou extravagants ou haïssables. Les rites établis divisent aujourd’hui le genre humain, et la morale le réunit.

La superstition n’empêcha jamais les brachmanes de reconnaître un dieu unique. Strabon, dans son quinzième livre, dit qu’ils adorent un dieu suprême ; qu’ils gardent le silence plusieurs années avant d’oser parler ; qu’ils sont sobres, chastes, tempérants ; qu’ils vivent dans la justice, et qu’ils meurent sans regret. C’est le témoignage que leur rendent saint Clément d’Alexandrie, Apulée, Porphyre, Pallade, saint Ambroise. N’oublions pas surtout qu’ils eurent un paradis terrestre, et que les hommes qui abusèrent des bienfaits de Dieu furent chassés de ce paradis.

La chute de l’homme dégénéré est le fondement de la théologie de presque toutes les anciennes nations. Le penchant naturel de l’homme à se plaindre du présent, et à vanter le passé, a fait imaginer partout une espèce d’âge d’or auquel les siècles de fer ont succédé. Ce qui est plus singulier encore, c’est que le Veidam des anciens brachmanes enseigne que le premier homme fut Adimo, et la première femme Procriti. Chez eux, Adimo signifiait Seigneur, et Procriti voulait dire la Vie ; comme Eva chez les Phéniciens, et même chez les Hébreux leurs imitateurs, signifiait aussi la Vie ou le Serpent. Cette conformité mérite une grande attention.

xviii. — De la Chine.

Oserons-nous parler des Chinois sans nous en rapporter à leurs propres annales ? elles sont confirmées par le témoignage unanime de nos voyageurs de différentes sectes, jacobins, jésuites, luthériens, calvinistes, anglicans ; tous intéressés à se contredire.