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DE L’ARABIE.

tinople. Ses soldats sont aussi terribles que sa cour est polie ; et, quel que soit l’événement de cette grande guerre, la postérité doit admirer la Thomiris du Nord : elle mérite de venger la terre de la tyrannie turque.

xv. — De l’Arabie.

Si l’on est curieux de monuments tels que ceux de l’Égypte, je ne crois pas qu’on doive les chercher en Arabie. La Mecque fut, dit-on, bâtie vers le temps d’Abraham ; mais elle est dans un terrain si sablonneux et si ingrat qu’il n’y a pas d’apparence qu’elle ait été fondée avant les villes qu’on éleva près des fleuves, dans des contrées fertiles. Plus de la moitié de l’Arabie est un vaste désert, ou de sables ou de pierres. Mais l’Arabie Heureuse a mérité ce nom en ce qu’étant environnée de solitudes et d’une mer orageuse, elle a été à l’abri de la rapacité des voleurs, appelés conquérants, jusqu’à Mahomet ; et même alors elle ne fut que la compagne de ses victoires. Cet avantage est bien au-dessus de ses aromates, de son encens, de sa cannelle, qui est d’une espèce médiocre, et même de son café, qui fait aujourd’hui sa richesse. L’Arabie Déserte est ce pays malheureux, habité par quelques Amalécites, Moabites, Madianites : pays affreux, qui ne contient pas aujourd’hui neuf à dix mille Arabes, voleurs errants, et qui ne peut en nourrir davantage. C’est dans ces mêmes déserts qu’il est dit que deux millions d’Hébreux passèrent quarante années. Ce n’est point la vraie Arabie, et ce pays est souvent appelé désert de Syrie.

L’Arabie Pétrée n’est ainsi appelée que du nom de Pétra, petite forteresse, à qui sûrement les Arabes n’avaient pas donné ce nom, mais qui fut nommée ainsi par les Grecs vers le temps d’Alexandre. Cette Arabie Pétrée est fort petite, et peut être confondue, sans lui faire tort, avec l’Arabie Déserte : l’une et l’autre ont toujours été habitées par des hordes vagabondes. C’est auprès de cette Arabie Pétrée que fut bâtie la ville appelée par nous Jérusalem.

Pour cette vaste partie appelée Heureuse, près de la moitié consiste aussi en déserts ; mais quand on avance quelques milles dans les terres, soit à l’orient de Moka, soit même à l’orient de la Mecque, c’est alors qu’on trouve le pays le plus agréable de la terre. L’air y est parfumé, dans un été continuel, de l’odeur des plantes aromatiques que la nature y fait croître sans culture. Mille