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GRAND SCHISME D’OCCIDENT.

On ne peut s’empêcher de plaindre le sort de Rome. On lui donnait un évêque et un prince malgré elle : des troupes françaises, sous le commandement de Tanneguy du Châtel, vinrent encore la ravager pour lui faire accepter son troisième pape. Le Vénitien Corrario porta sa tiare à Gaïète, sous la protection du fils de Charles de Durazzo, que nous nommons Lancelot, qui régnait alors à Naples ; et Pierre Luna transféra son siége à Perpignan. Rome fut saccagée, mais sans fruit, pour le troisième pape ; il mourut en chemin, et la politique qui régnait alors fut cause qu’on le crut empoisonné.

Les cardinaux du concile de Pise, qui l’avaient élu, s’étant rendus maîtres de Rome, mirent à sa place Balthazar Cozza, Napolitain. C’était un homme de guerre ; il avait été corsaire, et s’était signalé dans les troubles que la querelle de Charles de Durazzo et de la maison d’Anjou excitait encore ; depuis, légat en Allemagne, il s’y était enrichi en vendant des indulgences ; il avait ensuite acheté assez cher le chapeau de cardinal, et n’avait point acheté moins chèrement sa concubine Catherine, qu’il avait enlevée à son mari. Dans les conjonctures où était Rome, il lui fallait peut-être un tel pape : elle avait plus besoin d’un soldat que d’un théologien.

Depuis Urbain VI, les papes rivaux négociaient, excommuniaient, et bornaient leur politique à tirer quelque argent. Celui-ci fit la guerre. Il était reconnu de la France et de la plus grande partie de l’Europe sous le nom de Jean XXIII. Le pape de Perpignan n’était pas à craindre ; celui de Gaïète l’était, parce que le roi de Naples le protégeait. Jean XXIII assemble des troupes, publie une croisade contre Lancelot, roi de Naples, arme le prince Louis d’Anjou, auquel il donne l’investiture de Naples. On se bat auprès du Garillan : le parti du pape est victorieux ; mais la reconnaissance n’étant pas une vertu de souverain, et la raison d’État étant plus forte que tout le reste, le pape ôte l’investiture à son bienfaiteur et à son vengeur, Louis d’Anjou. Il reconnaît Lancelot son ennemi pour roi, à condition qu’on lui livrera le Vénitien Corrario.

Lancelot, qui ne voulait pas que Jean XXIII fût trop puissant, laissa échapper le pape Corrario. Ce pontife errant se retira dans le château de Rimini, chez Malatesta, l’un des petits tyrans d’Italie. C’est là que, ne subsistant que des aumônes de ce seigneur, et n’étant reconnu que du duc de Bavière, il excommuniait tous les rois, et parlait en maître de la terre.

Le corsaire Jean XXIII, seul pape de droit, puisqu’il avait été créé, reconnu à Rome par les cardinaux du concile de Pise, et