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CHAPITRE LXIV.

Alphonse le Philosophe avait oublié si peu le temporel qu’il s’était fait donner par le pape Grégoire X le tiers de certaines dîmes du clergé de Léon et de Castille, droit qu’il a transmis à ses successeurs.

Sa maison fut troublée, mais elle s’affermit toujours contre les Maures. (1303) Son petit-fils, Ferdinand IV, leur enleva alors Gibraltar, qui n’était pas si difficile à conquérir qu’aujourd’hui.

On appelle ce Ferdinand IV Ferdinand l’Ajourné, parce que dans un accès de colère il fit, dit-on, jeter du haut d’un rocher deux seigneurs qui, avant d’être précipités, l’ajournèrent à comparaître devant Dieu dans trente jours, et qu’il mourut au bout de ce terme. Il serait à souhaiter que ce conte fût véritable, ou du moins cru tel par ceux qui pensent pouvoir tout faire impunément. Il fut père de ce fameux Pierre le Cruel dont nous verrons les excessives sévérités ; prince implacable, et punissant cruellement les hommes, sans qu’il fût ajourné au tribunal de Dieu.

L’Aragon, de son côté, se fortifia, comme nous l’avons vu, et accrut sa puissance par l’acquisition de la Sicile.

Les papes prétendaient pouvoir disposer du royaume d’Aragon pour deux raisons : premièrement, parce qu’ils le regardaient comme un fief de l’Église romaine ; secondement, parce que Pierre III, surnommé le Grand, auquel on reprochait les vêpres siciliennes, était excommunié, non pour avoir eu part au massacre, mais pour avoir pris la Sicile, que le pape ne voulait pas lui donner. Son royaume d’Aragon fut donc transféré par sentence du pape à Charles de Valois, petit-fils de saint Louis ; mais la bulle ne put être mise à exécution : la maison d’Aragon demeura florissante ; et bientôt après les papes, qui avaient voulu la perdre, l’enrichirent encore. (1294) Boniface VIII donna la Sardaigne et la Corse au roi d’Aragon, Jacques IV, dit le Juste, pour l’ôter aux Génois et aux Pisans, qui se disputaient ces îles : nouvelle preuve de l’imbécile grossièreté de ces temps barbares.

Alors, la Castille et la France étaient unies, parce qu’elles étaient ennemies de l’Aragon : les Castillans et les Français étaient alliés de royaume à royaume, de peuple à peuple, et d’homme à homme.

Ce qui se passait alors en France du temps de Philippe le Bel, au commencement du xive siècle, doit attirer nos regards.

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