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CHAPITRE LXIV.

que podemos mas que vos, os hazemos nuestro rey y señor, con tal que guardeis nuestros fueros : si no, no. « Nous, qui sommes autant que vous et qui pouvons plus que vous, nous vous faisons notre roi, à condition que vous garderez nos lois ; sinon, non. »

Le grand justicier prétendait que ce n’était pas une vaine cérémonie, et qu’il avait le droit d’accuser le roi devant les états, et de présider au jugement : je ne vois point pourtant d’exemple qu’on ait usé de ce privilége.

La Castille n’avait guère moins de droits, et les états mettaient des bornes au pouvoir souverain. Enfin on doit juger que dans des pays où il y avait tant de seigneurs, il était aussi difficile aux rois de dompter leurs sujets que de chasser les Maures.

Alfonse X, surnommé l’Astronome ou le Sage, fils de saint Ferdinand, en fit l’épreuve. On a dit de lui qu’en étudiant le ciel il avait perdu la terre. Cette pensée triviale serait juste si Alfonse avait négligé ses affaires pour l’étude ; mais c’est ce qu’il ne fit jamais. Le même fonds d’esprit qui en avait fait un grand philosophe en fit un très-bon roi. Plusieurs auteurs l’accusent encore d’athéisme, pour avoir dit « que s’il avait été du conseil de Dieu, il lui aurait donné de bons avis sur le mouvement des astres ». Ces auteurs ne font pas attention que cette plaisanterie de ce sage prince tombait uniquement sur le système de Ptolémée, dont il sentait l’insuffisance et les contrariétés. Il fut le rival des Arabes dans les sciences, et l’université de Salamanque, établie en cette ville par son père, n’eut aucun personnage qui l’égalât. Ses tables alfonsines font encore aujourd’hui sa gloire, et la honte des princes qui se font un mérite d’être ignorants ; mais aussi il faut avouer qu’elles furent dressées par des Arabes.

Les difficultés dans lesquelles son règne fut embarrassé n’étaient pas, sans doute, un effet des sciences qui rendirent Alfonse illustre, mais une suite des dépenses excessives de son père. Ainsi que saint Louis avait épuisé la France par ses voyages, saint Ferdinand avait ruiné pour un temps la Castille par ses acquisitions mêmes, qui avaient coûté plus qu’elles ne valurent d’abord.

Après la mort de saint Ferdinand, il fallut que son fils résistât à la Navarre et à l’Aragon jaloux.

Cependant tous ces embarras, qui occupaient ce roi philosophe, n’empêchèrent pas que les princes de l’empire ne le demandassent pour empereur ; et s’il ne le fut pas, si Rodolphe de Habsbourg fut enfin élu à sa place, il ne faut, ce me semble, l’attribuer qu’à la distance qui séparait la Castille de l’Allemagne. Alfonse montra du moins qu’il méritait l’empire par la manière