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ÉTAT DE L’EUROPE AU XIIIe SIÈCLE.

Lorsque vers la fin du XIIIe siècle quelques princes déposèrent Adolphe de Nassau, successeur du premier prince de la maison d’Autriche, fils de Rodolphe, ils supposèrent une bulle du pape pour déposer Nassau. Ils attribuaient au pape leur propre pouvoir. Ce même Boniface, apprenant l’élection d’Albert, écrit aux électeurs (1298) : « Nous vous ordonnons de dénoncer qu’Albert, qui se dit roi des Romains, comparaisse devant nous pour se purger du crime de lèse-majesté et de l’excommunication encourue. »

On sait qu’Albert d’Autriche, au lieu de comparaître, vainquit Nassau, le tua dans la bataille auprès de Spire, et que Boniface, après lui avoir prodigué les excommunications, lui prodigua les bénédictions quand ce pape eut besoin de lui contre Philippe le Bel (1303) : alors il supplée, par la plénitude de sa puissance, à l’irrégularité de l’élection d’Albert ; il lui donne dans sa bulle le royaume de France, qui de droit appartenait, dit-il, aux empereurs. C’est ainsi que l’intérêt change ses démarches, et emploie à ses fins le sacré et le profane[1].

D’autres têtes couronnées se soumettaient à la juridiction papale. Marie, femme de Charles le Boiteux, roi de Naples, qui prétendait au royaume de Hongrie, fit plaider sa cause devant le pape et ses cardinaux, et le pape lui adjugea le royaume par défaut. Il ne manquait à la sentence qu’une armée.

L’an 1329, Christophe, roi de Danemark, ayant été déposé par la noblesse et par le clergé, Magnus, roi de Suède, demande au pape la Scanie et d’autres terres. « Le royaume de Danemark, dit-il dans sa lettre, ne dépend, comme vous le savez, très-saint-père, que de l’Église romaine, à laquelle il paye tribut, et non de l’empire. » Le pontife, que ce roi de Suède implorait, et dont il reconnaissait la juridiction temporelle sur tous les rois de la terre, était Jacques Fournier, Benoît XII, résidant à Avignon ; mais le nom est inutile ; il ne s’agit que de faire voir que tout prince qui voulait usurper ou recouvrer un domaine s’adressait au pape comme à son maître. Benoît prit le parti du roi de Danemark, et répondit « qu’il ne ferait justice de ce monarque que quand il l’aurait cité à comparaître devant lui, selon les anciens usages ».

La France, comme nous le verrons[2], n’avait pas pour Boniface VIII une pareille déférence. Au reste, il est assez connu que ce pontife institua le jubilé, et ajouta une seconde couronne à celle du bonnet pontifical, pour signifier les deux puissances.

  1. Voyez le chapitre lxv, du roi Philippe le-Bel. (Note de Voltaire.)
  2. Chapitre lxv.