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CROISADE CONTRE LES LANGUEDOCIENS.

Naples, et y resta jusqu’au temps où la malheureuse reine Jeanne de Naples fut obligée enfin de céder Avignon pour quatre-vingt mille florins, qui ne lui furent jamais payés. Tels sont en général les titres des possessions ; tel a été notre droit public.

Ces croisades contre le Languedoc durèrent vingt années. La seule envie de s’emparer du bien d’autrui les fit naître, et produisit en même temps l’Inquisition (1204). Ce nouveau fléau, inconnu auparavant chez toutes les religions du monde, reçut la première forme sous le pape Innocent III ; elle fut établie en France dès l’année 1229, sous saint Louis. Un concile à Toulouse commença dans cette année par défendre aux chrétiens laïques de lire l’ancien et le nouveau Testament. C’était insulter au genre humain que d’oser lui dire : Nous voulons que vous ayez une croyance, et nous ne voulons pas que vous lisiez le livre sur lequel cette croyance est fondée.

Dans ce concile on fit brûler les ouvrages d’Aristote, c’est-à-dire deux ou trois exemplaires qu’on avait apportés de Constantinople dans les premières croisades, livres que personne n’entendait, et sur lesquels on s’imaginait que l’hérésie des Languedociens était fondée. Des conciles suivants ont mis Aristote presque à côté des pères de l’Église. C’est ainsi que vous verrez, dans ce vaste tableau des démences humaines, les sentiments des théologiens, les superstitions des peuples, le fanatisme, variés sans cesse, mais toujours constants à plonger la terre dans l’abrutissement et la calamité, jusqu’au temps où quelques académies, quelques sociétés éclairées, ont fait rougir nos contemporains de tant de siècles de barbarie.

(1237) Mais ce fut bien pis quand le roi eut la faiblesse de permettre qu’il y eût dans son royaume un grand inquisiteur nommé par le pape. Ce fut le cordelier Robert qui exerça ce pouvoir nouveau, d’abord dans Toulouse, et ensuite dans d’autres provinces.

Si ce Robert n’eût été qu’un fanatique, il y aurait du moins dans son ministère une apparence de zèle qui eût excusé ses fureurs aux yeux des simples ; mais c’était un apostat qui conduisait avec lui une femme perdue, et pour mettre le comble à l’horreur de son ministère, cette femme était elle-même hérétique : c’est ce que rapportent Matthieu Pâris et Mousk, et ce qui est prouvé dans le Spicilegium de Luc d’Acheri.

Le roi saint Louis eut le malheur de lui permettre d’exercer ses fonctions d’inquisiteur à Paris, en Champagne, en Bourgogne, et en Flandre. Il fit accroire au roi qu’il y avait une secte nouvelle qui infectait secrètement ces provinces. Ce monstre fit brûler,