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CHAPITRE LX.

cent mille combattants, au delà du fleuve Jaxarte, près de la ville d’Otrar ; et dans les plaines immenses qui sont par delà cette ville, au quarante-deuxième degré de latitude, il rencontre l’armée tartare de sept cent mille hommes[1], commandée par Gengis et par ses quatre fils : les mahométans furent défaits, et Otrar prise. On se servit du bélier dans le siége : il semble que cette machine de guerre soit une invention naturelle de presque tous les peuples, comme l’arc et les flèches.

De ces pays, qui sont vers la Transoxane, le vainqueur s’avance à Bocara, ville célèbre dans toute l’Asie par son grand commerce, ses manufactures d’étoffes, surtout par les sciences que les sultans turcs avaient apprises des Arabes, et qui florissaient dans Bocara et dans Samarcande. Si même on en croit le kan Abulcazi, de qui nous tenons l’histoire des Tartares, Bocar signifie savant en langue tartare-mongule ; et c’est de cette étymologie, dont il ne reste aujourd’hui nulle trace, que vint le nom de Bocara. Le Tartare, après l’avoir rançonnée, la réduisit en cendres, ainsi que Persépolis avait été brûlée par Alexandre ; mais les Orientaux qui ont écrit l’histoire de Gengis disent qu’il voulut venger ses ambassadeurs, que le sultan avait fait tuer avant cette guerre. S’il peut y avoir quelque excuse pour Gengis, il n’y en a point pour Alexandre.

Toutes ces contrées à l’orient et au midi de la mer Caspienne furent soumises ; et le sultan Mohammed, fugitif de province en province, traînant après lui ses trésors et son infortune, mourut abandonné des siens.

Enfin le conquérant pénétra jusqu’au fleuve de l’Inde, et tandis qu’une de ses armées soumettait l’Indoustan, une autre, sous un de ses fils, subjugua toutes les provinces qui sont au midi et à l’occident de la mer Caspienne, le Corassan, l’Irak, le Shirvan, l’Aran ; elle passa les portes de fer, près desquelles la ville de Derbent fut bâtie, dit-on, par Alexandre. C’est l’unique passage de ce côté de la haute Asie, à travers les montagnes escarpées et inaccessibles du Caucase ; de là, marchant le long du Volga vers Moscou, cette armée, partout victorieuse, ravagea la Russie. C’était prendre ou tuer des bestiaux et des esclaves. Chargée de ce butin, elle repassa le Volga, et retourna vers Gengis par le nord-est de la mer Caspienne. Aucun voyageur n’avait fait, dit-on, le tour de cette mer ; et ces troupes furent les premières qui entreprirent une telle course par des pays incultes, impraticables à d’autres hommes qu’à des Tartares, auxquels il ne fallait ni tentes, ni

  1. Il faut toujours beaucoup rabattre de ces calculs. (Note de Voltaire.)