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CHAPITRE LVIII.

ses sujets transplantés et le changement de climat avaient attirées dans son camp en Égypte désolèrent son camp de Carthage. Un de ses fils, né à Damiette pendant la captivité, mourut de cette espèce de contagion devant Tunis. Enfin le roi en fut attaqué ; il se fit étendre sur la cendre (1270), et expira à l’âge de cinquante-cinq ans, avec la piété d’un religieux et le courage d’un grand homme. Ce n’est pas un des moindres exemples des jeux de la fortune que les ruines de Carthage aient vu mourir un roi chrétien, qui venait combattre des musulmans dans un pays où Didon avait apporté les dieux des Syriens. A peine est-il mort que son frère le roi de Sicile arrive. On fait la paix avec les Maures, et les débris des chrétiens sont ramenés en Europe.

On ne peut guère compter moins de cent mille personnes sacrifiées dans les deux expéditions de saint Louis. Joignez les cent cinquante mille qui suivirent Frédéric Barberousse, les trois cent mille de la croisade de Philippe-Auguste et de Richard, deux cent mille au moins au temps de Jean de Brienne ; comptez les cent soixante mille croisés qui avaient déjà passé en Asie, et n’oubliez pas ce qui périt dans l’expédition de Constantinople, et dans les guerres qui suivirent cette révolution, sans parler de la croisade du Nord et de celle contre les Albigeois, on trouvera que l’Orient fut le tombeau de plus de deux millions d’Européans.

Plusieurs pays en furent dépeuplés et appauvris. Le sire de Joinville dit expressément qu’il ne voulut pas accompagner Louis à sa seconde croisade parce qu’il ne le pouvait, et que la première avait ruiné toute sa seigneurie.

La rançon de saint Louis avait coûté huit cent mille besants ; c’était environ neuf millions de la monnaie qui court actuellement (en 1778). Si des deux millions d’hommes qui moururent dans le Levant, chacun emporta seulement cent francs, c’est-à-dire un peu plus de cent sous du temps, c’est encore deux cent millions de livres qu’il en coûta. Les Génois, les Pisans, et surtout les Vénitiens, s’y enrichirent ; mais la France, l’Angleterre, l’Allemagne, furent épuisées.

On dit que les rois de France gagnèrent à ces croisades, parce que saint Louis augmenta ses domaines en achetant quelques terres des seigneurs ruinés. Mais il ne les accrut que pendant ses treize années de séjour, par son économie.

Le seul bien que ces entreprises procurèrent, ce fut la liberté que plusieurs bourgades achetèrent de leurs seigneurs. Le gouvernement municipal s’accrut un peu des ruines des possesseurs