Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/488

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
468
CHAPITRE LVIII.


CHAPITRE LVIII.


De saint Louis, son gouvernement, sa croisade, nombre de ses vaisseaux, ses dépenses, sa vertu, son imprudence, ses malheurs.


Louis IX paraissait un prince destiné à réformer l’Europe, si elle avait pu l’être ; à rendre la France triomphante et policée, et à être en tout le modèle des hommes. Sa piété, qui était celle d’un anachorète, ne lui ôta aucune vertu de roi. Une sage économie ne déroba rien à sa libéralité. Il sut accorder une politique profonde avec une justice exacte, et peut-être est-il le seul souverain qui mérite cette louange : prudent et ferme dans le conseil, intrépide dans les combats sans être emporté, compatissant comme s’il n’avait jamais été que malheureux. Il n’est pas donné à l’homme de porter plus loin la vertu.

Il avait, conjointement avec la régente sa mère, qui savait régner, réprimé l’abus de la juridiction trop étendue des ecclésiastiques. Ils voulaient que les officiers de justice saisissent les biens de quiconque était excommunié, sans examiner si l’excommunication était juste ou injuste. Le roi, distinguant très-sagement les lois civiles auxquelles tout doit être soumis, et les lois de l’Église dont l’empire doit ne s’étendre que sur les consciences, ne laissa pas plier les lois du royaume sous cet abus des excommunications. Ayant, dès le commencement de son administration, contenu les prétentions des évêques et des laïques dans leurs bornes, il avait réprimé les factions de la Bretagne ; il avait gardé une neutralité prudente entre les emportements de Grégoire IX et les vengeances de l’empereur Frédéric II.

Son domaine, déjà fort grand, s’était accru de plusieurs terres qu’il avait achetées. Les rois de France avaient alors pour revenus leurs biens propres, et non ceux des peuples. Leur grandeur dépendait d’une économie bien entendue, comme celle d’un seigneur particulier.

Cette administration l’avait mis en état de lever de fortes armées contre le roi d’Angleterre Henri III, et contre des vassaux de France unis avec l’Angleterre. Henri III, moins riche, moins obéi de ses Anglais, n’eut ni d’aussi bonnes troupes, ni d’aussitôt prêtes. Louis le battit deux fois, et surtout à la journée de Taillebourg en Poi-