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DE SALADIN.

qui voulait encore attaquer son vainqueur Saladin, malgré la foi des serments et malgré l’inégalité des armes.

Après plusieurs combats, dont aucun ne fut décisif, ce fils de Frédéric Barberousse, qui eût pu être empereur d’Occident, perdit la vie près de Ptolémaïs. Ceux qui ont écrit qu’il mourut martyr de la chasteté, et qu’il eût pu réchapper par l’usage des femmes, sont à la fois des panégyristes bien hardis et des physiciens peu instruits. On a eu la sottise d’en dire autant depuis du roi de France Louis VIII.

L’Asie Mineure était un gouffre où l’Europe venait se précipiter. Non-seulement cette armée immense de l’empereur Frédéric était perdue ; mais des flottes d’Anglais, de Français, d’Italiens, d’Allemands, précédant encore l’arrivée de Philippe-Auguste et de Richard Cœur de Lion, avaient amené de nouveaux croisés et de nouvelles victimes.

Le roi de France et le roi d’Angleterre arrivèrent enfin en Syrie devant Ptolémaïs. Presque tous les chrétiens de l’Orient s’étaient rassemblés pour assiéger cette ville. Saladin était embarrassé vers l’Euphrate dans une guerre civile. Quand les deux rois eurent joint leurs forces à celles des chrétiens d’Orient, on compta plus de trois cent mille combattants.

(1190) Ptolémaïs, à la vérité, fut prise ; mais la discorde, qui devait nécessairement diviser deux rivaux de gloire et d’intérêt, tels que Philippe et Richard, fit plus de mal que ces trois cent mille hommes ne firent d’exploits heureux. Philippe, fatigué de ces divisions, et plus encore de la supériorité et de l’ascendant que prenait en tout Richard son vassal, retourna dans sa patrie, qu’il n’eût pas dû quitter peut-être, mais qu’il eût dû revoir avec plus de gloire.

Richard, demeuré maître du champ d’honneur, mais non de cette multitude de croisés, plus divisés entre eux que ne l’avaient été les deux rois, déploya vainement le courage le plus héroïque. Saladin, qui revenait vainqueur de la Mésopotamie, livra bataille aux croisés près de Césarée. Richard eut la gloire de désarmer Saladin : ce fut presque tout ce qu’il gagna dans cette expédition mémorable.

Les fatigues, les maladies, les petits combats, les querelles continuelles, ruinèrent cette grande armée ; et Richard s’en retourna avec plus de gloire, à la vérité, que Philippe-Auguste, mais d’une manière bien moins prudente. Il partit avec un seul vaisseau ; et ce vaisseau ayant fait naufrage sur les côtes de Venise, il traversa, déguisé et mal accompagné, la moitié de