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CHAPITRE LII.

sance. Malgré tant de troubles, ses royaumes de Naples et de Sicile furent embellis et policés par ses soins ; il y bâtit des villes, y fonda des universités, y fit fleurir un peu les lettres. La langue italienne commençait à se former alors ; c’était un composé de la langue romane et du latin. On a des vers de Frédéric II en cette langue. Mais les traverses qu’il essuya nuisirent aux sciences autant qu’à ses desseins.

Depuis la mort de Frédéric II jusqu’en 1268, l’Allemagne fut sans chef, non comme l’avaient été la Grèce, l’ancienne Gaule, l’ancienne Germanie, et l’Italie avant qu’elle fût soumise aux Romains : l’Allemagne ne fut ni une république, ni un pays partagé entre plusieurs souverains, mais un corps sans tête dont les membres se déchiraient.

C’était une belle occasion pour les papes, mais ils n’en profitèrent pas. On leur arracha Brescia, Crémone, Mantoue, et beaucoup de petites villes. Il eût fallu alors un pape guerrier pour les reprendre ; mais rarement un pape eut ce caractère. Ils ébranlaient à la vérité le monde avec leurs bulles ; ils donnaient des royaumes avec des parchemins. Le pape Innocent IV déclara, de sa propre autorité, Haquin roi de Norvège, en le faisant enfant légitime, de bâtard qu’il était (1247). Un légat du pape couronna ce roi Haquin, et reçut de lui un tribut de quinze mille marcs d’argent, et cinq cents marcs (ou marques) des églises de Norvège : ce qui était peut-être la moitié de l’argent comptant qui circulait dans un pays si peu riche.

Le même pape Innocent IV créa aussi un certain Mandog roi de Lithuanie, mais roi relevant de Rome. « Nous recevons, dit-il dans sa bulle du 15 juillet 1251, ce nouveau royaume de Lithuanie au droit et à la propriété de saint Pierre, vous prenant sous notre protection, vous, votre femme, et vos enfants. » C’était imiter en quelque sorte la grandeur de l’ancien sénat de Rome, qui accordait des titres de rois et de tétrarques. La Lithuanie ne fut pas cependant un royaume ; elle ne put même encore être chrétienne que plus d’un siècle après.

Les papes parlaient donc en maîtres du monde, et ne pouvaient être maîtres chez eux : il ne leur en coûtait que du parchemin pour donner ainsi des États ; mais ce n’était qu’à force d’intrigues qu’ils pouvaient se ressaisir d’un village auprès de Mantoue ou de Ferrare.

Voilà quelle était la situation des affaires de l’Europe : l’Allemagne et l’Italie déchirées, la France encore faible, l’Espagne partagée entre les chrétiens et les musulmans ; ceux-ci entière-