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CHAPITRE LII.

grand chemin dans leurs territoires, et de faire de la fausse monnaie. (1219) Frédéric II les contraignit, dans la diète d’Égra, de faire serment de ne plus exercer de pareils droits ; et, pour leur donner l’exemple, il renonça à celui que ses prédécesseurs s’étaient attribué de s’emparer de toute la dépouille des évêques à leur décès. Cette rapine était alors autorisée partout, et même en Angleterre.

Les usages les plus ridicules et les plus barbares étaient alors établis. Les seigneurs avaient imaginé le droit de cuissage, de markette, de prélibation ; c’était celui de coucher la première nuit avec les nouvelles mariées leurs vassales roturières. Des évêques, des abbés, eurent ce droit en qualité de hauts barons ; et quelques-uns se sont fait payer, au dernier siècle, par leurs sujets, la renonciation à ce droit étrange, qui s’étendit en Écosse, en Lombardie, en Allemagne, et dans les provinces de France. Voilà les mœurs qui régnaient dans le temps des croisades.

L’Italie était moins barbare, mais n’était pas moins malheureuse. La querelle de l’empire et du sacerdoce avait produit les factions Guelfe et Gibeline, qui divisaient les villes et les familles[1].

Milan, Brescia, Mantoue, Vicence, Padoue, Trévise, Ferrare, et presque toutes les villes de la Romagne, sous la protection du pape, étaient liguées entre elles contre l’empereur.

Il avait pour lui Crémone, Bergame, Modène, Parme, Reggio, Trente. Beaucoup d’autres villes étaient partagées entre les factions Guelfe et Gibeline. L’Italie était le théâtre, non d’une guerre, mais de cent guerres civiles, qui, en aiguisant les esprits et les courages, n’accoutumaient que trop les nouveaux potentats italiens à l’assassinat et à l’empoisonnement.

Frédéric II était né en Italie : il aimait ce climat agréable, et ne pouvait souffrir ni le pays ni les mœurs de l’Allemagne, dont il fut absent quinze années entières. Il paraît évident que son grand dessein était d’établir en Italie le trône des nouveaux Césars. Cela seul eût pu changer la face de l’Europe. C’est le nœud secret de toutes les querelles qu’il eut avec les papes. Il employa tour à tour la souplesse et la violence, et le saint-siége le combattit avec les mêmes armes.

Honorius III et Grégoire IX ne peuvent d’abord lui résister

  1. La querelle des Guelfes et des Gibelins eut son origine en Allemagne au temps de Conrad III, et fut transportée en Italie. Gibelins vient de Wiblingen, nom d’un château appartenant à la famille des Hohenstaufen ; Guelfes, de Welf, nom de l’ancienne maison de Bavière. (G. A.)