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CHAPITRE LI.

cent marcs d’argent ; et un baron, cent schellings ; qu’aucun bailli du roi ne pourra prendre les chevaux des paysans qu’en payant cinq sous par jour par cheval. Qu’on parcoure toute la charte, on trouvera seulement que les droits du genre humain n’y ont pas été assez défendus ; on verra que les communes, qui portaient le plus grand fardeau et qui rendaient les plus grands services, n’avaient nulle part à ce gouvernement, qui ne pouvait fleurir sans elles. Cependant Jean se plaignit ; il demanda justice au pape, son nouveau souverain.

Ce pape, Innocent III, qui avait excommunié le roi, excommunie alors les pairs d’Angleterre. Les pairs outrés font ce qu’avait fait ce même pontife : ils offrent la couronne d’Angleterre à la France. Philippe-Auguste, vainqueur de l’Allemagne, possesseur de presque tous les États de Jean en France, appelé au royaume d’Angleterre, se conduisit en grand politique. Il engagea les Anglais à demander son fils Louis pour roi. Alors les légats de Rome vinrent lui représenter en vain que Jean était feudataire du saint-siége. Louis, de concert avec son père, lui parle ainsi en présence du légat : « Monsieur, suis votre homme lige pour li fiefs que m’avez baillés en France, mais ne vos appartient de décider du fait du royaume d’Angleterre ; et si le faites, me pourvoirai devant mes pairs[1].

Après avoir parlé ainsi il partit pour l’Angleterre, malgré les défenses publiques de son père, qui le secourait en secret d’hommes et d’argent. Innocent III excommunia en vain le père et le fils (1216) : les évêques de France déclarèrent nulle l’excommunication du père. Remarquons pourtant qu’ils n’osèrent infirmer celle de Louis ; c’est-à-dire qu’ils avouaient que les papes avaient le droit d’excommunier les princes. Ils ne pouvaient disputer ce droit aux papes, puisqu’ils se l’arrogeaient eux-mêmes ; mais ils se réservaient encore celui de décider si l’excommunication du pape était juste ou injuste. Les princes étaient alors bien malheureux, exposés sans cesse à l’excommunication chez eux et à Rome ; mais les peuples étaient plus malheureux encore : l’anathème retombait toujours sur eux, et la guerre les dépouillait.

Le fils de Philippe-Auguste fut reconnu roi solennellement dans Londres. Il ne laissa pas d’envoyer des ambassadeurs plaider sa cause devant le pape. Ce pontife jouissait de l’honneur qu’avait

  1. C’est une grande preuve que la pairie décidait alors de toutes les grandes affaires. (Note de Voltaire.)