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LA FRANCE ET L’ANGLETERRE AU XIIe SIÈCLE.

qui condamna le roi d’Angleterre ne fût celle-là même qui était convoquée alors à Melun pour régler les lois féodales, Stabilimentiim feudorium. Eudes, duc de Bourgogne, y présidait sous le roi Philippe-Auguste. On voit encore au bas des chartes de cette assemblée les noms d’Hervé, comte de Nevers ; de Renaud, comte de Boulogne ; de Gaucher, comte de Saint-Paul ; de Gui de Dampierre ; et, ce qui est très-remarquable, on n’y trouve aucun grand officier de la couronne.

Philippe se mit bientôt en devoir de recueillir le fruit du crime du roi son vassal. Il paraît que le roi Jean était du naturel des rois tyrans et lâches. Il se laissa prendre la Normandie, la Guienne, le Poitou, et se retira en Angleterre, où il était haï et méprisé. Il trouva d’abord quelque ressource dans la fierté de la nation anglaise, indignée de voir son roi condamné en France ; mais les barons d’Angleterre se lassèrent bientôt de donner de l’argent à un roi qui n’en savait pas user. Pour comble de malheur, Jean se brouilla avec la cour de Rome pour un archevêque de Cantorbéry, que le pape voulait nommer de son autorité, malgré les lois.

Innocent III, cet homme sous lequel le saint-siége fut si formidable, mit l’Angleterre en interdit, et défendit à tous les sujets de Jean de lui obéir. Cette foudre ecclésiastique était en effet terrible, parce que le pape la remettait entre les mains de Philippe-Auguste, auquel il transféra le royaume d’Angleterre en héritage perpétuel, l’assurant de la rémission de tous ses péchés s’il réussissait à s’emparer de ce royaume. Il accorda même pour ce sujet les mêmes indulgences qu’à ceux qui allaient à la Terre Sainte. Le roi de France ne publia pas alors qu’il n’appartenait pas au pape de donner des couronnes : lui-même avait été excommunié quelques années auparavant, en 1199, et son royaume avait aussi été mis en interdit par ce même pape Innocent III, parce qu’il avait voulu changer de femme[1]. Il avait déclaré alors les censures de Rome insolentes et abusives ; il avait saisi le temporel de tout évêque et de tout prêtre assez mauvais Français pour obéir au pape. Il pensa tout différemment quand il se vit l’exécuteur d’une bulle qui lui donnait l’Angleterre. Alors il reprit sa femme, dont le divorce lui avait attiré tant d’excommunications, et ne songea qu’à exécuter la sentence de Rome. Il employa une année à faire construire dix-sept cents vaisseaux (c’est-à-dire mille sept cents grandes barques), et à préparer la plus belle

  1. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Yvetot.