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CHAPITRE L.

noines, qui s’étaient déclarés contre lui. (1770) Ils se plaignirent au roi, qui était alors en Normandie. Enfin Henri II, outré de colère, s’écria : « Est-il possible qu’aucun de mes serviteurs ne me vengera de ce brouillon de prêtre ? »

Ces paroles, plus qu’indiscrètes, semblaient mettre le poignard à la main de quiconque croirait le servir en assassinant celui qui ne devait être puni que par les lois.

(1170) Quatre de ses domestiques allèrent à Kenterbury, que nous nommons Cantorbéry ; ils assommèrent à coups de massue l’archevêque au pied de l’autel. Ainsi un homme qu’on aurait pu traiter en rebelle devint un martyr, et le roi fut chargé de la honte et de l’horreur de ce meurtre.

L’histoire ne dit point quelle justice on fit de ces quatre assassins : il semble qu’on n’en ait fait que du roi.

On a déjà vu[1] comme Adrien IV donna à Henri II la permission d’usurper l’Irlande. Le pape Alexandre III, successeur d’Adrien IV, confirma cette permission, à condition que le roi ferait serment qu’il n’avait jamais commandé cet assassinat, et qu’il irait pieds nus recevoir la discipline sur le tombeau de l’archevêque par la main des chanoines. Il eût été bien grand de donner l’Irlande, si Henri avait eu le droit de s’en emparer, et le pape celui d’en disposer ; mais il était plus grand de forcer un roi puissant et coupable à demander pardon de son crime.

(1172) Le roi alla donc conquérir l’Irlande. C’était un pays sauvage qu’un comte de Pembroke avait déjà subjugué en partie, avec douze cents hommes seulement. Ce comte de Pembroke voulait retenir sa conquête. Henri II, plus fort que lui, et muni d’une bulle du pape, s’empara aisément de tout. Ce pays est toujours resté sous la domination de l’Angleterre, mais inculte, pauvre, et inutile, jusqu’à ce qu’enfin, dans le xviiie siècle, l’agriculture, les manufactures, les arts, les sciences, tout s’y est perfectionné (1174) ; et l’Irlande, quoique subjuguée, est devenue une des plus florissantes provinces de l’Europe.

Henri II, contre lequel ses enfants se révoltaient, accomplit sa pénitence après avoir subjugué l’Irlande. Il renonça solennellement à tous les droits de la monarchie, qu’il avait soutenus contre Becket. Les Anglais condamnent cette renonciation, et même sa pénitence. Il ne devait certainement pas céder ses droits, mais il devait se repentir d’un assassinat : l’intérêt du genre humain demande un frein qui retienne les souverains, et

  1. Chapitre xlviii.