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LA FRANCE ET L’ANGLETERRE AU XIIe SIÈCLE.

la Guienne, avec l’Angleterre, excepté la Cornouaille, non encore soumise. Tout y était tranquille, lorsque ce bonheur fut troublé par la grande querelle du roi et de Thomas Becket, qu’on appelle saint Thomas de Cantorbéry.

Ce Thomas Becket, avocat élevé par le roi Henri II à la dignité de chancelier, et enfin à celle d’archevêque de Cantorbéry, primat d’Angleterre et légat du pape, devint l’ennemi de la première personne de l’État dès qu’il fut la seconde. Un prêtre commit un meurtre. Le primat ordonna qu’il serait seulement privé de son bénéfice. Le roi, indigné, lui reprocha qu’un laïque en cas pareil étant puni de mort ; c’était inviter les ecclésiastiques au crime que de proportionner si peu la peine au délit. L’archevêque soutint qu’aucun ecclésiastique ne pouvait être puni de mort, et renvoya ses lettres de chancelier pour être entièrement indépendant. Le roi, dans un parlement, proposa qu’aucun évêque n’allât à Rome, qu’aucun sujet n’appelât au saint-siége, qu’aucun vassal et officier de la couronne ne fût excommunié et suspendu de ses fonctions, sans permission du souverain ; qu’enfin les crimes du clergé fussent soumis aux juges ordinaires. Tous les pairs séculiers passèrent ces propositions, Thomas Becket les rejeta d’abord. Enfin il signa des lois si justes ; mais il s’accusa auprès du pape d’avoir trahi les droits de l’Église, et promit de n’avoir plus de telles complaisances.

Accusé devant les pairs d’avoir malversé pendant qu’il était chancelier, il refusa de répondre, sous prétexte qu’il était archevêque. Condamné à la prison, comme séditieux, par les pairs ecclésiastiques et séculiers, il s’enfuit en France, et alla trouver Louis le Jeune, ennemi naturel du roi d’Angleterre. Quand il fut en France, il excommunia la plupart des seigneurs qui composaient le conseil de Henri. Il lui écrivait : « Je vous dois, à la vérité, révérence comme à mon roi ; mais je vous dois châtiment comme à mon fils spirituel. » Il le menaçait dans sa lettre d’être changé en bête comme Nabuchodonosor, quoique après tout il n’y eût pas un grand rapport entre Nabuchodonosor et Henri II.

Le roi d’Angleterre fit tout ce qu’il put pour engager l’archevêque à rentrer dans son devoir. Il prit, dans un de ses voyages, Louis le Jeune, son seigneur suzerain, pour arbitre. « Que l’archevêque, dit-il à Louis en propres mots, agisse avec moi comme le plus saint de ses prédécesseurs en a usé avec le moindre des miens, et je serai satisfait. » Il se fit une paix simulée entre le roi et le prélat. Becket revint donc en Angleterre ; mais il n’y revint que pour excommunier tous les ecclésiastiques, évêques, cha-