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CHAPITRE L.

la France. On complait en Angleterre, sous le roi Étienne, fils de Henri Ier, mille châteaux fortifiés. Les rois de France et Angleterre ne pouvaient rien alors sans le consentement et le secours de cette multitude de barons, et c’était, comme on l’a déjà vu, le règne de la confusion[1].

(1152) Le roi de France, Louis le Jeune, acquit un grand domaine par un mariage, mais il le perdit par un divorce. Éléonore sa femme, héritière de la Guienne et du Poitou, lui fit des affronts qu’un mari devait ignorer. Fatiguée de raccompagner dans ces croisades illustres et malheureuses, elle se dédommagea des ennuis que lui causait, à ce qu’elle disait, un roi qu’elle traitait toujours de moine. Le roi fit casser son mariage sous prétexte de parenté. Ceux qui ont blâmé ce prince de ne pas retenir la dot, en répudiant sa femme, ne songent pas qu’alors un roi de France n’était pas assez puissant pour commettre une telle injustice. Mais ce divorce est un des plus grands objets du droit public que les historiens auraient bien dû approfondir. Le mariage fut cassé à Beaugency par un concile d’évêques de France, sur le vain prétexte qu’Éléonore était arrière-cousine de Louis ; encore fallut-il que les seigneurs gascons fissent serment que les deux époux étaient parents, comme si l’on ne pouvait connaître que par un serment une telle vérité. Il n’est que trop certain que ce mariage était nul par les lois superstitieuses de ces temps d’ignorance. Si le mariage était nul, les deux princesses qui en étaient nées étaient donc bâtardes ; elles furent pourtant mariées en qualité de filles très-légitimes. Le mariage d’Éléonore, leur mère, fut donc toujours réputé valide, malgré la décision du concile. Ce concile ne prononça donc pas la nullité, mais la cassation, le divorce ; et, dans ce procès de divorce, le roi se garda bien d’accuser sa femme d’adultère : ce fut proprement une répudiation en plein concile sur le plus frivole des motifs. Il reste à savoir comment, selon la loi du christianisme, Éléonore et Louis pouvaient se remarier. Il est assez connu, par saint Matthieu[2] et par saint Luc[3] qu’un homme ne peut ni se marier après avoir répudié sa femme, ni épouser une répudiée. Cette loi est émanée expressément de la bouche du Christ, et cependant elle n’a jamais été observée. Que de sujets d’excom-

  1. Voyez le chapitre xxxviii, où Voltaire dit que le royaume était sans chef, sans police, sans ordre ; et le commencement du chapitre xxxix.
  2. Saint Matthieu, V, 31-32.
  3. Saint Luc, XVI, 18.