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DE L’EMPEREUR HENRI V, ET DE ROME.

reproduisait de temps en temps quelques racines. Plusieurs villes d’Italie avaient profité de ces troubles pour s’ériger en républiques, comme Florence, Sienne, Bologne, Milan, Pavie. On avait les grands exemples de Gênes, de Venise, de Pise ; et Rome se souvenait d’avoir été la ville des Scipions. Le peuple rétablit une ombre de sénat, que les cardinaux avaient aboli. On créa un patrice au lieu de deux consuls. (1144) Le nouveau sénat signifia au pape Lucius II que la souveraineté résidait dans le peuple romain, et que l’évêque ne devait avoir soin que de l’Église.

Ces sénateurs s’étant retranchés au Capitole, le pape Lucius les assiégea en personne. Il y reçut un coup de pierre à la tête, et en mourut quelques jours après.

En ce temps, Arnaud de Brescia, un de ces hommes à enthousiasme, dangereux aux autres et à eux-mêmes, prêchait de ville en ville contre les richesses immenses des ecclésiastiques, et contre leur luxe. Il vint à Rome, où il trouva les esprits disposés à l’entendre. Il se flattait de réformer les papes, et de contribuer à rendre Rome libre. Eugène III, auparavant moine à Cîteaux et à Clairvaux, était alors pontife. Saint Bernard lui écrivait : « Gardez-vous des Romains : ils sont odieux au ciel et à la terre, impies envers Dieu, séditieux entre eux, jaloux de leurs voisins, cruels envers les étrangers ; ils n’aiment personne, et ne sont aimés de personne, et, voulant se faire craindre de tous, ils craignent tout le monde, etc. » Si on comparait ces antithèses de Bernard avec la vie de tant de papes, on excuserait un peuple qui, portant le nom romain, cherchait à n’avoir point de maître.

(1155) Le pape Eugène III sut ramener ce peuple, accoutumé à tous les jougs. Le sénat subsista encore quelques années. Mais Arnaud de Brescia, pour fruit de ses sermons, fut brûlé à Rome sous Adrien IV ; destinée ordinaire des réformateurs qui ont plus d’indiscrétion que de puissance[1].

Je crois devoir observer que cet Adrien IV, né Anglais, était parvenu à ce faîte des grandeurs du plus vil état où les hommes puissent naître. Fils d’un mendiant, et mendiant lui-même, errant

  1. Arnaud ou Arnaldo de Brescia tint dix ans à Rome, rappelant aux citoyens les gloires de la grande republique. Le pape se réclama de l’empereur contre lui. On le brûla vif devant la porte du Peuple, à l’heure du matin où la ville dormait encore. Ses cendres furent jetées dans le Tibre, de peur que le peuple n’honorât ses reliques comme celles d’un martyr. Il y eut pourtant un mouvement populaire si violent que l’empereur dut prendre la fuite. Mais la république n’en était pas moins morte. (G. A.)