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CHAPITRE XLIV.

et ce coin de terre était la contrée la plus stérile. L’Asturie, dont les princes prenaient le titre de roi de Léon ; une partie de la Vieille-Castille, gouvernée par des comtes ; Barcelone, et la moitié de la Catalogne, aussi sous un comte ; la Navarre, qui avait un roi ; une partie de l’Aragon, unie quelque temps à la Navarre : voilà ce qui composait les États des chrétiens. Les Maures possédaient le Portugal, la Murcie, l’Andalousie, Valence, Grenade, Tortose, et s’étendaient au milieu des terres par delà les montagnes de la Castille et de Saragosse. Le séjour des rois mahométans était toujours à Cordoue. Ils y avaient bâti cette grande mosquée dont la voûte est soutenue par trois cent soixante-cinq colonnes de marbre précieux, et qui porte encore parmi les chrétiens le nom de la Mesquita, mosquée, quoiqu’elle soit devenue cathédrale.

Les arts y fleurissaient ; les plaisirs recherchés, la magnificence, la galanterie, régnaient à la cour des rois maures. Les tournois, les combats à la barrière, sont peut-être de l’invention de ces Arabes. Ils avaient des spectacles, des théâtres, qui, tout grossiers qu’ils étaient, montraient du moins que les autres peuples étaient moins polis que ces mahométans. Cordoue était le seul pays de l’Occident où la géométrie, l’astronomie, la chimie, la médecine, fussent cultivées. (956) Sanche le Gros, roi de Léon, fut obligé de s’aller mettre à Cordoue entre les mains d’un fameux médecin arabe, qui, invité par le roi, voulut que le roi vînt à lui.

Cordoue est un pays de délices, arrosé par le Guadalquivir, où des forêts de citronniers, d’orangers, de grenadiers, parfument l’air, et où tout invite à la mollesse. Le luxe et le plaisir corrompirent enfin les rois musulmans. Leur domination fut, au xe siècle, comme celle de presque tous les princes chrétiens, partagée en petits États. Tolède, Murcie, Valence, Huesca même, eurent leurs rois. C’était le temps d’accabler cette puissance divisée ; mais les chrétiens d’Espagne étaient plus divisés encore. Ils se faisaient une guerre continuelle, se réunissaient pour se trahir, et s’alliaient souvent avec les musulmans. Alfonse V, roi de Léon, donna même sa sœur Thérèse en mariage au sultan Abdalla, roi de Tolède (1010).

Les jalousies produisent plus de crimes entre les petits princes qu’entre les grands souverains. La guerre seule peut décider du sort des vastes États ; mais les surprises, les perfidies, les assassinats, les empoisonnements, sont plus communs entre des rivaux voisins, qui, ayant beaucoup d’ambition et peu de ressources, mettent en œuvre tout ce qui peut suppléer à la force. C’est ainsi