Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
367
CONQUÊTE DE L’ANGLETERRE.

pagne était partagée entre les chrétiens et les musulmans, la Lombardie changeait chaque jour de maître ; la race carlovingienne, détrônée en France, faisait voir ce que peut la force contre le droit du sang. Edouard le Confesseur n’avait point joui du trône à titre d’héritage : Harold, successeur d’Edouard, n’était point de sa race ; mais il avait le plus contestable de tous les droits, les suffrages de toute la nation. Guillaume le Bâtard n’avait pour lui ni le droit d’élection, ni celui d’héritage, ni même aucun parti en Angleterre. Il prétendit que dans un voyage qu’il fit autrefois dans cette île, le roi Edouard avait fait en sa faveur un testament, que personne ne vit jamais ; il disait encore qu’autrefois il avait délivré de prison Harold, et qu’Harold lui avait cédé ses droits sur l’Angleterre : il appuya ses faibles raisons d’une forte armée.

Les barons de Normandie, assemblés en forme d’états, refusèrent de l’argent à leur duc pour cette expédition, parce que, s’il ne réussissait pas, la Normandie en resterait appauvrie, et qu’un heureux succès la rendrait province d’Angleterre ; mais plusieurs Normands hasardèrent leur fortune avec leur duc. Un seul seigneur, nommé Fitz-Othbern[1], équipa quarante vaisseaux à ses dépens. Le comte de Flandre, beau-père du duc Guillaume, le secourut de quelque argent. Le pape Alexandre II entra dans ses intérêts. Il excommunia tous ceux qui s’opposeraient aux desseins de Guillaume. C’était se jouer de la religion ; mais les peuples étaient accoutumés à ces profanations, et les princes en profitaient. Guillaume partit de Saint-Valery-sur-Somme (le 14 octobre 1066) avec une flotte nombreuse ; on ne sait combien il avait de vaisseaux ni de soldats. Il aborda sur les côtes de Sussex ; et bientôt après se donna dans cette province la fameuse bataille de Hastings, qui décida seule du sort de l’Angleterre. Les anciennes chroniques nous apprennent qu’au premier rang de l’armée normande, un écuyer, nommé Taillefer, monté sur un cheval armé, chanta la chanson de Roland, qui fut si longtemps dans la bouche des Français, sans qu’il en soit resté le moindre fragment. Ce Taillefer, après avoir entonné la chanson, que les soldats répétaient, se jeta le premier parmi les Anglais, et fut tué. Le roi Harold et le duc de Normandie quittèrent leurs chevaux, et combattirent à pied : la bataille dura six heures. La gendarmerie à cheval, qui commençait à faire ailleurs toute la force des armées, ne paraît pas avoir été employée dans cette jour-

  1. Guillaume, fils d’Osbern, sénéchal de Normandie.