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CHAPITRE XXIII.

Les archevêques de Milan et de Crémone allument les premiers feux. Leur prétexte est que Bernard, roi d’Italie, est le chef de la maison carlovingienne, comme né du fils aîné de Charlemagne. Ces évêques se servent de ce roi Bernard pour exciter une guerre civile. On en voit assez la véritable raison dans cette fureur de remuer, et dans cette frénésie d’ambition qui s’autorise toujours des lois mêmes faites pour la réprimer. Un évêque d’Orléans entre dans leurs intrigues ; l’empereur et Bernard, l’oncle et le neveu, lèvent des armées. On est près d’en venir aux mains à Chalon-sur-Saône ; mais le parti de l’empereur gagne, par argent et par promesses, la moitié de l’armée d’Italie. On négocie, c’est-à-dire on veut tromper. Le roi est assez imprudent pour venir dans le camp de son oncle. Louis, qu’on a nommé le Débonnaire parce qu’il était faible, et qui fut cruel par faiblesse, fait crever les yeux à son neveu, qui lui demandait grâce à genoux. (819) Le malheureux roi meurt dans les tourments du corps et de l’esprit, trois jours après cette exécution cruelle. Il fut enterré à Milan, et on grava sur son tombeau : Ci gît Bernard de sainte mémoire. Il semble que le nom de saint en ce temps-là ne fut qu’un titre honorifique. Alors Louis fait tondre et enfermer dans un monastère trois de ses frères, dans la crainte qu’un jour le sang de Charlemagne, trop respecté en eux, ne suscitât des guerres. Ce ne fut pas tout. L’empereur fait arrêter tous les partisans de Bernard, que ce roi misérable avait dénoncés à son oncle sous l’espoir de sa grâce. Ils éprouvent le même supplice que le roi : les ecclésiastiques sont exceptés de la sentence ; on les épargne, eux qui étaient les auteurs de la guerre : la déposition ou l’exil sont leur seul châtiment. Louis ménageait l’Église, et l’Église lui fit bientôt sentir qu’il eût dû être moins cruel et plus ferme.

Dès l’an 817, Louis avait suivi le mauvais exemple de son père, en donnant des royaumes à ses enfants ; et, n’ayant ni le courage d’esprit de son père, ni l’autorité que ce courage donne, il s’exposait à l’ingratitude. Oncle barbare et frère trop dur, il fut un père trop facile.

Ayant associé à l’empire son fils aîné, Lothaire, donné l’Aquitaine au second, nommé Pépin, la Bavière à Louis, son troisième fils, il lui restait un jeune enfant d’une nouvelle femme. C’est ce Charles le Chauve, qui fut depuis empereur. Il voulut, après le partage, ne pas laisser sans États cet enfant d’une femme qu’il aimait.

Une des sources du malheur de Louis le Faible, et de tant de désastres plus grands qui depuis ont affligé l’Europe, fut cet abus