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DE LA RELIGION DES PREMIERS HOMMES.

de la main ont sans doute précédé la métaphysique de plusieurs siècles.

Remarquons, en passant, que dans l’âge moyen de la Grèce, du temps d’Homère, l’âme n’était autre chose qu’une image aérienne du corps. Ulysse voit dans les enfers des ombres, des mânes : pouvait-il voir des esprits purs ?

Nous examinerons dans la suite comment les Grecs empruntèrent des Égyptiens l’idée des enfers et de l’apothéose des morts ; comment ils crurent, ainsi que d’autres peuples, une seconde vie, sans soupçonner la spiritualité de l’âme. Au contraire, ils ne pouvaient imaginer qu’un être sans corps pût éprouver du bien et du mal. Et je ne sais si Platon n’est pas le premier qui ait parlé d’un être purement spirituel. C’est là, peut-être, un des plus grands efforts de l’intelligence humaine. Encore la spiritualité de Platon est très-contestée, et la plupart des pères de l’Église admirent une âme corporelle, tout platoniciens qu’ils étaient. Mais nous n’en sommes pas à ces temps si nouveaux, et nous ne considérons le monde que comme encore informe et à peine dégrossi.

v. — De la religion des premiers hommes. .

Lorsque, après un grand nombre de siècles quelques sociétés se furent établies, il est à croire qu’il y eut quelque religion, quelque espèce de culte grossier. Les hommes, alors uniquement occupés du soin de soutenir leur vie, ne pouvaient remonter à l’auteur de la vie ; ils ne pouvaient connaître ces rapports de toutes les parties de l’univers, ces moyens et ces fins innombrables, qui annoncent aux sages un éternel architecte.

La connaissance d’un dieu, formateur, rémunérateur et vengeur, est le fruit de la raison cultivée.

Tous les peuples furent donc pendant des siècles ce que sont aujourd’hui les habitants de plusieurs côtes méridionales de l’Afrique, ceux de plusieurs îles, et la moitié des Américains. Ces peuples n’ont nulle idée d’un dieu unique, ayant tout fait, présent en tous lieux, existant par lui-même dans l’éternité. On ne doit pas pourtant les nommer athées dans le sens ordinaire, car ils ne nient point l’Être suprême ; ils ne le connaissent pas ; ils n’en ont nulle idée. Les Cafres prennent pour protecteur un insecte, les Nègres un serpent. Chez les Américains, les uns adorent la lune, les autres un arbre ; plusieurs n’ont absolument aucun culte.

Les Péruviens, étant policés, adoraient le soleil : ou Mauco-