Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
SUITE DES USAGES DU TEMPS DE CHARLEMAGNE.

Mais quand les majordomes ou maires de cette milice usurpèrent insensiblement le pouvoir, ils voulurent cimenter leur autorité par le crédit des prélats et des abbés, en les appelant aux assemblées du champ de mai.

Ce fut, selon les annales de Metz, en 692 que le maire Pepin, premier du nom, procura cette prérogative au clergé : époque bien négligée par la plupart des historiens, mais époque très-considérable, et premier fondement du pouvoir temporel des évêques et des abbés, en France et en Allemagne.

__________



CHAPITRE XVIII.


Suite des usages du temps de Charlemagne, et avant lui, s’il était
despotique, et le royaume héréditaire.


On demande si Charlemagne, ses prédécesseurs, et ses successeurs, étaient despotiques, et si leur royaume était héréditaire par le droit de ces temps-là. Il est certain que par le fait Charlemagne était despotique, et que par conséquent son royaume fut héréditaire, puisqu’il déclare son fils empereur en plein parlement. Le droit est un peu plus incertain que le fait ; voici sur quoi tous les droits étaient alors fondés.

Les habitants du Nord et de la Germanie étaient originairement des peuples chasseurs ; et les Gaulois, soumis par les Romains, étaient agriculteurs ou bourgeois. Des peuples chasseurs, toujours armés, doivent nécessairement subjuguer des laboureurs et des pasteurs, occupés toute l’année de leurs travaux continuels et pénibles, et encore plus aisément des bourgeois paisibles dans leurs foyers. Ainsi les Tartares ont asservi l’Asie ; ainsi les Goths sont venus à Rome. Toutes les hordes de Tartares et de Goths, de Huns, de Vandales et de Francs, avaient des chefs. Ces chefs d’émigrants étaient élus à la pluralité des voix, et cela ne pouvait être autrement ; car, quel droit pourrait avoir un voleur de commander à ses camarades ? Un brigand habile et hardi, surtout heureux, dut à la longue acquérir beaucoup d’empire sur des brigands subordonnés, moins habiles, moins hardis, et moins heureux que lui. Ils avaient tous également part au